Fort du succès surprise du modeste Smile sorti en 2022 - notamment avec plus d’un million d’entrées en France - il n’a pas fallu longtemps avant qu’une suite ne se mette en chantier. Avec Parker Finn une nouvelle fois aux commandes, on pouvait espérer que ce soit aussi sympathique que le premier malgré la crainte de plus y trouver bonne idée sur le papier qui montre très vite ses limites après une seule suite dictée par l’appât du gain des studios. Mais Smile 2 est arrivé, et on a pu voir de quel côté de la balance il penchait… et le résultat est inespéré.
Dans une industrie du cinéma adepte du offer less, sell more (offre moins, vends plus), on pouvait appréhender d’un œil curieux et distant l’arrivée de ce nouvel opus qui dès sa promotion semblait déjouer ce précepte. Mais c’était sans doute l’arbre qui cachait la forêt, car il apparaît facile pour le deuxième d’une saga en devenir de proposer simplement plus gros, quitte à s’embourber dans une farce spectaculaire et perdre pied. Mais c’est le risque avec le concept du bigger and bigger, on pense notamment aux récentes saga John Wick, Kingsman ou les Spider-Man en animation qui épisode après épisode visent toujours plus haut, dangereusement, ringardisant presque leurs prédécesseurs.
Cet élan témoigne souvent d’une générosité démesurée qui ferait pâlir les studios, car qui dit plus de moyens dit plus d’argent dépensé et potentiellement gros manque à gagner si le public n’est pas réceptif. Donc faire un deuxième opus ambitieux c’est casse gueule, et il y a autant d’exemples et de contre exemples pour se jeter à l’eau et croiser les doigts pour se trouver du côté des gagnants et non pas des restants.
Donc Smile 2 débarque avec toutes ces incertitudes et semble être ce prototype dévorant d’ambition : plus long, plus coûteux, plus violent, plus technique et plus gros (ou gras) que son aîné.
À savoir qu’il est aussi simple de tomber dans un autre piège quand on poursuit un travail avec une base solide, c’est qu’on peut proposer simplement la même chose, mais avec des mots différents… et le nouveau bébé de Parker Finn tombe exactement dedans. C’est un calque du premier, avec une structure identique au point de paraître feignant. Et sauf si tu t’appelles Shane Black, un monsieur qui a construit sa carrière entière sur une petite arnaque, celle de faire encore et encore le même film (les ressemblances entre Kiss Kiss Bang Bang et The Nice Guys ne manquent pas), difficile de faire de cette faiblesse une force.
Pour ne rien arranger, la star qui porte ton projet à bout de bras, la performance sur laquelle repose tout ton récit, c’est Naomi Scott. Vous savez, la coquille vide inexpressive dans les infâmes et derniers Aladdin, Power Rangers et Charli’s Angels.
Donc les voyants virent au rouge vif, et on craint logiquement un plantage en règle. On entre en salle à reculons, et surprise, on assiste finalement à un petit miracle.
Smile 2 a envie de bien faire et s’en donne les moyens. En version dopée aux hormones du 1, si sa structure identique le trahit et le rend prévisible, il en profite pour dresser une nouvelle arène scénaristique, très à propos, qui colle parfaitement avec son procédé horrifique qui matérialise tour à tour un sentiment de culpabilité jusque là refoulé, un ancien soi qu’on veut oublier et qui revient au galop ou encore la projection d’une rechute. L’occasion de parler en outre du star stalent, de l’aliénation qu’engendre la célébrité et de tous les déboires qui vont avec, à commencer par tomber dans les affres de l’addiction, développer un syndrome de l’imposteur, céder à la paranoïa face à une fanbase étouffante (coucou les stalkers) ou encore pointer du doigt une industrie qui te jette sur la place publique au moindre faux pas (et libre à vous d’y injecter ce que vous voulez mais ce n’est pas aussi réactionnaire que ça en a l’air). Pour ne pas citer Pierre Niney, l’humain n’est pas préparé à surfer sur les feux de la rampe. D’après lui, c’est inhumain et monstrueux. On vous laisse imaginer maintenant tout ce à quoi va être confronté Skye Riley, le personnage principal. À ce titre, il est l’heure pour l’auteur de ces lignes de présenter ses excuses. Si je voyais en Naomi Scott une des si ce n’est la pire actrice de sa génération, il faut avouer qu’elle crève l’écran ici, et que son personnage torturé et brisé aussi bien mentalement que physiquement en quête d’une rédemption contrariée attire très vite l’empathie. Pas étonnant donc que certains extrémistes veulent l’envoyer aux Oscars pour le prix d’interprétation.
Autre intention, dessiner un nouveau terrain de jeu propice à un bain de sang encore plus sanglant qu’à l’accoutumée dans des productions horrifiques de ce genre. L’interdiction au moins de 16 ans n’est pas volée, et peut même faire pâlir Art le clown tueur derrière son maquillage déjà blanc, dont l’historique interdiction au moins de 18 ans pour Terrifier 3, justifiée, repose plus sur une vulgarité crasse - à savoir se pisser dessus et découper des ados tout nus en plein coït, sous la douche, à la tronçonneuse en commençant par découper leurs parties - que par de vraies instants d’horreur. Certes les deux propositions ne jouent pas la même partition, mais il y a une réelle différence et un gouffre de difficulté qui sépare le fait de créer du malaise par un gore si débridé qu’il en devient malsain et celui de tenter d’apeurer avec les armes désuètes et désormais inoffensives de l’industrie horrifique pérennisée par le modèle Blumhouse.
Donc le film qui nous intéresse a à cœur de transcender ses pairs, tant dans le côté du chant puisque ses morceaux de pop sont bien plus convaincants et réfléchis que le tout venant qui parasite le milieu de la chanson actuellement (comme Trap sorti cette année d’ailleurs et Barbie avant lui ou quand le cinéma vient apprendre à la musique comment faire de la musique). En dans l’horreur, il est question de ressusciter une recette qu’on s’évertue à ne pas laisser mourir malgré les échecs à répétition. Fatalement, les jumpscares vont bon train mais ne seront jamais gratuits et jouiront même toujours d’une excellente préparation. L’ambiance est anxiogène, les screamers inventifs pour la plupart (le klaxon et ses phares, ces yeux exorbités) s’additionnent à des situations et une imagerie proprement angoissantes : la silhouette de ce mec nu au fond de ton couloir, des gens qui te pourchassent, une partie de 1, 2, 3 soleil hardcore et logiquement tous ces sourires forcés. C’est simple, facile, mais ce sont des peurs primaires voire instinctives qui résonnent presque en chacun de nous, et les voilà qui atteignent leur plein potentiel ici quand le long-métrage ne montre pas une violence beaucoup plus frontale, elle dégoûtante d’efficacité, on retiendra surtout l’haltère ou le carnage opéré dans le climax, et tout ceci est livré avec un savoir faire renversant. Sans tomber le gore chic d’un It Follows (dont il partage beaucoup de points communs) ou Titane, propre à une certaine idée du cinéma de genre pour ne pas dire elevated horror, Smile 2 s’en rapproche par une technique irréprochable, jamais à cours d’idées et de mouvements audacieux pour plonger le spectateur dans la spirale infernale vécue par sa protagoniste.
En immersion totale, on passe outre les limites du genre, avec son manque de cohérence justifié par la carte du « ta gueule, c’est magique » qui peut faire sortir le tout venant du récit si on la sur exploite. Ben oui, difficile d’accorder sa confiance quand on nous rabâche que ce qu’on nous donne à voir n’est pas vrai (coucou Daaaaaalí). Mais ici, on excusera cet écart, car il en ressort surtout de la générosité.
On ne fait pas non plus crier le son de la révolte face à la redite, car même si on aimerait être dispensé de retrouver ces mêmes explications que son prédécesseur sur son lore, c’est avant tout une belle porte d’entrée dans la saga.
Même sa fin repose sur un double sens arrangeant, est-ce que c’est une hallucination de plus ? Est-ce que les règles du jeu ont changé ? Seront-ils tous contaminés ou un seul malchanceux sera-t-il condamné ? Même si cette ouverture, cette flexibilité peut être prise pour de la lâcheté, il s’agit plutôt de laisser un peu d’air et un certain confort au spectateur qui vient de subir un cauchemar dont il est enfin temps de se réveiller.
Si on accepte d’être pris par la main, Smile 2 s’assure de nous rendre la monnaie de sa pièce avec un terrain de jeu qui fait sens et une maestria technique vertigineuse. Tout ça en fait une suite de haute volée et plus encore, un véritable cauchemar. Aujourd’hui c’est dur pour les films d’horreur de marquer, on les compte sur les doigts d’une main et il y en a un par an… alors que ce soit par un produit de studio d’apparence excellent calibre, bah chapeau Parker Finn, on s’y attendait pas, t’as dynamité le système de l’intérieur.