Le psychodrame de Ruben Östlund dissèque les archétypes familiaux d’un ménage suédois durant leurs vacances d’hiver, mais sans se concentrer sur une seule trame à la fois.
Comment digérer que votre tendre et chère moitié ressemble en définitive à un individu pathétique, hypocrite et couard qui abandonne sa maisonnée dès la première menace à l’horizon ?
Les pistes scintillent sous le soleil de la montagne. La famille est belle et aisée, le tout forme une carte postale parfaite. Pourtant, l’anticipation d’une catastrophe avortée suffit à créer un désastreux effet « boule de neige ». Les dégâts collatéraux seront éprouvants, révélateurs et… drôles ?
Ces précieux jours de retrouvailles entre la mère, le père et les deux enfants ont comme écrin une magnifique et luxueuse station de ski des Alpes françaises. Lors d’un dîner sur la terrasse de l’hôtel, la petite famille traverse une expérience traumatisante. Une avalanche préventive, volontairement déclenchée, se dirige droit sur l’esplanade où la tribu est réunie. Le mur de neige est aussi impressionnant que la catastrophe semble inévitable. Le chevaleresque époux aura vite fait d’abandonner sa casquette patriarcale pour s’enfuir fissa, en hurlant à pleins poumons (et non sans oublier son nouvel iPhone). De son coté, maman restera stoïquement sur place pour protéger les deux bambins.
L’incident engendrera des effets dévastateurs sur le noyau familial, fragilisant les liens entre ses membres au point d’en ébranler les fondations. C’est dans cette brèche que s’enfonce le cinéaste pour y déployer ses thèmes (la culpabilité, l’instinct, la confiance, l’échec et l’égo). On a donc un contexte de crise et de délitement familial tout à fait contemporain, secondé par une idée de bouleversement franchement efficace, dans le sens où elle est simple et vraisemblable.
Comment accepter la douloureuse perspective de voir sombrer la sécurité familiale dans les profondeurs de l’individualisme et du déni ? Peut-être est-il carrément temps d’arrêter de vous leurrer, de réévaluer le sens et le fondement de vos relations de couple/parents (d’autant plus qu’avec tout ça, vous ne rajeunissez pas) ? Quand on se trouve confronté à l’effroyable réalité des pulsions de vie, à l’instinct de conservation, sommes-nous disposés à faire éclater toute construction sociale et tout lien de filiation pour ne préserver que la seule chose qui semble importer aux individus, c’est-à-dire nous-mêmes ? La question est là. Malgré toutes les mondanités et les efforts de colmatage, la façade de la famille menant tranquillement sa barque s’effrite. La confiance n’est qu’une variable instable, la fusion, une illusion. Le pétard mouillé de l’avalanche n’est que le coup de grâce porté au ménage. Il offre au spectateur la possibilité d’être moralisateur, car il peut ainsi choisir parmi les morceaux brisés qui s’étalent.
Pourtant, Ruben Östlund essaie bien d’être drôle. En témoignent les situations où la petite famille, isolée parmi les touristes, en vient à prendre ces derniers comme témoins ou spectateurs de son éclatement. Ici, difficile de ne pas s’avouer que le second degré est mal dosé, éparpillé, voire impertinent. Pourquoi malmener artificiellement des personnages qui en prennent déjà suffisamment pour leur grade avec leurs conflits internes ? La mise en scène pince sans faire rire.
Le pitch du film possède un vrai potentiel, il nous laisse entrevoir une comédie intellectuelle jouissive. Avec un tel amorçage, le cinéaste avait le choix de traiter différents thèmes pointus : l’éclatement de la parentalité contemporaine, la crise de la masculinité, un conte philosophique contemplatif, un réel psychodrame… Le problème est qu’on assiste à un étalage de ces directions sans avoir la possibilité d’en emprunter vraiment une. Au lieu de cela, on subit des ruptures de ton et des incohérences inconfortables dans la trame tant narrative qu’esthétique du film. Soyons clairs, c’est long, beaucoup trop long. Et légèrement figé aussi. Relativement brouillon et parfois maladroit, le film est finalement bien moins maîtrisé qu’il n’y parait. Regrettablement, rien ne sort véritablement de ce petit jeu de brise-glace qui laisse alors indemne. D’une part (et c’est un des arguments positifs les plus régulièrement avancés au sein de la critique au sens large), nous avons des images à l’esthétique léchée, mais d’une irritante fixité qui ne fait pas forcément sens. On aura tout de même assez de ses deux mains pour compter les mouvements de caméra durant les cent vingt longues minutes. Pourtant, il y a une aisance formelle évidente, qui plaira en fonction de la sensibilité de chacun. D’autant plus que Ruben Östlund possède pas mal de films de commande à son actif, dont des documentaires sur… des stations alpines. Certes, une photographie maîtrisée (bien que banale), une beauté froide (gelée), mais vierge de signification et de puissance tant elle est détachée d’un contexte signifiant, et qui n’engendre qu’une esthétique de carte postale quasi commerciale. Une image « documentaire » semble en effet être le terme approprié, et ce n’est hélas pas un compliment. D’autre part, si l’on ne doute pas de l’intelligence de l’auteur et de sa compréhension du phénomène, le film ne propose pas de récit cohérent.
Tâtonnant entre différentes directions, de ses airs de comédie intellectuelle et satirique au masque d’une esthétique prétentieuse et relativement plate, le film reste en demi-teintes. Imprécis donc, comme son titre d’ailleurs : d’abord Turist, puis Snow Therapy, enfin Force majeure à l’étranger. Trois libellés qui s’assemblent sans se compléter, en miroir des thèmes déployés dans le film.