Quand Tarkovski réalise Solaris, il n'est pas nécessaire d'être très confiant, le réalisateur méprisant le genre et souhaitant revenir à ce qu'il aime le plus mettre en scène : l'homme en perdition et les retrouvailles de sa terre. Et pourtant, Solaris sera bien cette expérience sensorielle, déroutante et hypnotique telle que l'on pouvait se l'imaginer, respectant la volonté de son auteur, évoquer avant tout le bouleversement des émotions humaines comme de la confusion entre le rêve et la réalité, inaltérable même par la technologie développée.


Des séquences qui durent sans coupe, en suivant le personnage principal et la femme qu'il aimait désormais réincarnée, Tarkovski joue tant sur les couleurs que les dispositifs de mise en scène pour illustrer la perte de repères dans la vie de Kris. La photographie semble parfois presque dénaturée dans la station spatiale, sans vie, l'océan de la planète absorbant sans doute toutes les émotions humaines et le peu de vie restant de ces humains. Cela donne lieu à de superbes contrastes, pour la colorimétrie du film, mais cela fait également sens pour la continuité de ce que Tarkovski proposait auparavant. La terre reste le lieu le plus magnifique, que l'on sublime, auquel l'homme ressent toujours le besoin d'y revenir.


Histoires de visions de plus en plus présentes sur la terre, dans le monde réel, comme pour 2001 : L'Odyssée de l'Espace, il s'agit d'évoquer pour la énième fois (plus récemment, dans High Life de Claire Denis) la condition de l'homme, créature destinée à naître puis mourir. Paradoxalement, en s'attachant à ce qu'il pense être sa femme, Kris redonne vie à l'océan de la planète comme à sa femme. Le suicide est récurrent dans le film, pour la femme et le scientifique déchu, il représente l'absence de contrôle des émotions. La question du transhumanisme est au centre de l'intrigue, source de problématiques, difficilement solvables.


Puisqu'en effet, Solaris pose un paradoxe passionnant, sans doute plus ambigu que le 2001 de Kubrick, soit le fait que c'est bien l'attention de l'homme sur ce qui l'entoure, comme son amour, qui irait l'atteindre jusqu'à le faire mourir ou à connaître le jour de sa mort, voyant une dernière fois parents et famille. C'est pourquoi il semblerait qu'il soit mieux de garder le mystère de la vie, comme de la mort, profiter de ses proches et laisser les choses se faire. A la fin du film, Kris revoit son père et le prend dans ses bras.


Nous ne savons pas s'il mourra de son expérience, mais il a été le témoignage d'une humanité perdue, de ses faiblesses et valeurs, dans les méandres de la science en développement constant.

William-Carlier
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le 22 nov. 2021

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William Carlier

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