"On est puceau de l'horreur comme on l'est de la volupté"
écrit Céline dans Voyage au bout de la nuit.
Cette horreur, que va expérimenter le candide 2e classe Honus Gent (Peter Strauss), colle 'poisseusement' à la réputation de Soldat Bleu, lui valant de la part de certains une curieuse accusation de complaisance.
Puisque son réalisateur tenait à dénoncer le carnage* perpétré le 29 novembre 1864 contre un campement de Cheyennes (et d'Arapahos), pourquoi donc devrait-il faire dans la dentelle ? ...
Il est question de massacre : pas de cueillette des champignons !
Le propos précédant le générique de début est on ne peut plus clair :
(...) La fin du film montre, sans la moindre hypocrisie, les horreurs d'un combat où la folie sanguinaire triomphe de la raison. Les atrocités ne sont pas commises seulement contre l'ennemi, mais aussi contre des innocents... des femmes et des enfants. La principale horreur étant... que tout ceci a historiquement eu lieu.
D'ailleurs, ce que Bob Rafelson a mis en scène serait bien en-dessous de la réalité (ou plus exactement, de l'histoire*).
Jugez plutôt...
Voici trois textes.
Le premier que j'ai lu étant enfant, les deux autres plus récemment [le premier pouvant s'être nourri du témoignage inclus dans le deuxième].
1/
Sand Creek fut (...) le théâtre de scènes abominables, indignes d'un peuple civilisé. Les enfants eurent la tête fracassée contre les pierres, les femmes furent éventrées à coups de bowie-knifes, les guerriers furent tués et scalpés.
( George Fronval, La Véritable histoire des Indiens Peaux-Rouges, page 83 )
2/
Chivington [Iverson dans le film] avait ordonné expressément qu'on ne fasse pas de prisonniers, et l'assaut se termina par un véritable boucherie, les soldats tuant indistinctement les hommes, les femmes et les enfants. L'interprète John Smith, témoin de la scène, rapporte : ''Les soldats scalpèrent et leur défoncèrent le crâne ; avec leurs couteaux, ils ouvraient le ventre des femmes, en sortaient les enfants, leur éclataient la tête avec leurs fusils, leur faisaient sortir la cervelle, et les mutilaient de toutes les façons possibles.''
( R.M. Utley et W.E. Washburn, Guerres Indiennes, pages 188-189 )
3/
Surprisingly, despite the suddenness and ferocity of the Sand Creek assault, the majority of villagers, including many who were severely wounded, somehow escaped the soldiers and survived. Those who did not survive became the objects of widespread mutilation at the hands of the soldiers, particularly of members of the “Bloodless Third.” Over the next day, these largely untrained and undisciplined troops, including some officers, roamed the site of the destruction, scalping and otherwise desecrating the dead, thereby compounding the butchery of the event. The soldiers then plundered and burned the village, destroying its contents.
( Jerome A. Greene et Douglas D. Scott, Finding Sand Creek - History, Archeology, and the 1864 Massacre Site, page 20 )
Ce troisième texte apporte une précision non négligeable : les atrocités (mutilations en tous genres) auraient été commises sur les cadavres*... ce qui relativise passablement les choses...
Quoiqu'il en soit, Soldat Bleu est non seulement injustement attaqué sur sa prétendue complaisance, mais aussi sur sa dimension comique.
En effet, entre le massacre des soldats (au début, par les Indiens) et celui des Indiens (à la fin, par les soldats), le spectateur est largement convié à suivre les pérégrinations d'un bleu-bite crapahutant dans la nature hostile avec une Blanche mariée deux ans à un chef natif...
-- I'm going to sleep.
-- You do that, soldier. And you try to keep your mind off me.
-- Ms. Lee, I certainly have at no...
-- Oh, I know. If you get too all-fired horny during the night, just go soak your head in the stream over there.
L'humour qui émaille ce chapitre --- humour que l'on retrouve dans Little Big Man, et qui est apprécié, lui, tout comme l'ensemble de ce film (prodigieux) derrière lequel, cependant, les habituels cuistres se planquent pour dégommer Soldier Blue --- sert une longue parenthèse censée nous donner espoir, nous faire croire que dans la mesure où ces deux-là ont pu se comprendre et s'aimer... alors...
Raze the village! Burn this... pestilence !
Il n'en sera donc rien.
L'errance d'Honus et Cresta est à la fois une initiation (pour lui, pour elle ; pour nous), un espoir... et un leurre.
Esthétiquement parlant, de nombreux plans de Soldat bleu sont remarquables (de beauté) et la scène d'ouverture est digne des meilleures réalisations de Sergio Leone.
* Que s'est-il exactement passé sur ces bandes sablonneuses de Big Sandy Creek (nom officiel) ?... Combien de victimes ? ... Combien de femmes et d'enfants ? ... Responsabilité de Chivington (dont les vues politiciennes lui auraient valu des inimitiés telles que la fabrication d'une image de 'boucher' était nécessaire) ? .... ? .... ?
Une piste (d'éclaireur iroquois) : https://www.historynet.com/sand-creek-massacre