Un couple ensemble, tel est le début de sous le sable : dans une voiture, dans une maison de vacances, sur une plage des Landes, ils sont ensembles, presque seuls au monde (l'immensité de la plage rajoute à ce caractère exclusif de duo solitaire). Et puis, Jean (Bruno Crémer) part se baigner alors que sa femme Marie (Charlotte Rampling) se repose sur le sable. Et puis, elle se réveille, ne le trouve pas, s'inquiète, panique : son mari a bel et bien disparu et les premières recherches de la Police n'apportent aucune réponse (accident, suicide, fugue ?). La scène suivante est effrayante, elle est bâtie sur une ellipse dont ne peut appréhender tout de suite la durée : on retrouve Marie à Paris lors d'un diner, sans son mari, mais souriante et parlant de son époux au présent. On se demande si c'est un flash-back d'avant la disparition. Ou si le temps a passé pour que la femme si anéantie ne soit redevenue si apaisée. Et puis, il y a l'emploi de ce présent auquel la femme s'accroche comme à une bouée et les regards embarrassés des convives.
Sous le sable aurait pu être le film d'une disparition, le récit sur la difficulté du deuil ou celui de la solitude. Il aurait pu ouvrir sur une question déplaisante et vertigineuse : connait-on vraiment celui avec qui l'on vit ? Et d'ailleurs, Sous le sable traite aussi de cela, notamment par une scène - forte - où Marie va voir sa belle-mère (Andrée Tainsy) et qu'elle apprend juste là que Jean était dépressif, qu'il n'était pas heureux avec sa femme - moment de vérité cruellement dite qui ouvre sur une culpabilité diffuse. Mais le sujet de Sous le sable est encore ailleurs, dans quelque chose de moins identifiable et finalement de plus perturbant : le film d'un déni de réalité.
Face à l'insondable d'une disparition, Marie est entrée dans la folie. Sans faire de bruit. Sans se faire remarquer. Elle vit désormais comme avant (similitudes avec les premiers moments simples de couple exposés dans le film) avec son mari, ou plutôt avec son fantasme, le fantôme crée par sa propre folie. A l'image des plans fixes de son intérieur, Marie est figée dans un présent perpétuellement vécue à deux. Au réalisme banal de l'extérieur, supplante le fantastique de l'intérieur.
Cet équilibre est pourtant fragile et la réalité du monde extérieur (ses amis, son travail, la police qui se rappelle à son souvenir) ne demande qu'à briser cette existence fantasmée. Et puis, il y a le propre désir sexuel qui la fait succomber aux avances d'un nouvel homme (Jacques Nolot) : dès le début de leur relation, la présence du mari se dresse entre eux, à l'image de ce couple vu à travers le filtre d'un aquarium de restau chinois ; dans ce récit obsessionnel qui évoque également les Vagues de Virginia Woolf et le propre suicide par noyade de l'auteure anglaise, tout ramène Marie à l'eau qui a englouti son mari. Derrière le froid clinique du film, il y a bel et bien une femme qui se débat avec la raison - une duel que Charlotte Rampling exprime d'un simple mouvement de visage, passant du sourire à la grimace. Elle se débat entre le fantasme, la réalité et son propre désir : avec cette image étrange et sensuelle de son corps, et de plusieurs mains (celle de son mari, du nouvel homme qui l'attire et les siennes) qui en ôtent les escarpins et caressent sa robe en satin rouge - Ozon fétichiste de l'étrange. Ou cette autre image du nouvel amant qui fait l'amour à Marie alors qu'elle voit son mari les regarder - nouvelle forme déraisonnable de voyeurisme (Ozon, le cinéaste du double).
Entre la réalité et le fantasme, Marie choisira finalement le fantasme - au sens propre comme au figuré, Vincent ne fait pas le poids. Et même face à la preuve tangible du décès (le corps du mari), elle restera confite dans un déni perpétuel, la femme de Jean à jamais.