Comme nombre de cinéastes prolifiques, François Ozon se voit beaucoup décrié. Quand on réalise un film par an, impossible de ne jamais s’empêtrer. Comme chez Woody Allen, au Comme nombre de cinéastes prolifiques, François Ozon se voit beaucoup décrié. Quand on réalise un film par an, impossible de ne jamais s’empêtrer. Comme chez Woody Allen, au milieu de sa production imparfaite, on décèle quelques perles ingénues. Et, surtout, une obsession pour les personnages féminins qui révèle de la justesse.
Dans 8 femmes, les héroïnes-titres sont cloîtrées dans un huis-clos où, façon Agatha Christie, le coupable d’un assassinat ne peut s’extirper. Rien de bien neuf si Ozon ne laissait pas ces singularités radicales s’exprimer à tour de rôle… en chansons. Chacune effile un air propre à son ressenti, chargé de mélancolie ou primesautier, égrenant des indices. Malgré ce badinage avec le sérieux, le suspense subsiste. L’intérêt réside surtout dans ces autoportraits qu’entonnent les captives. À l’instar du Bal des actrices de Maïwenn, où l’on rencontre des comédiennes qui se définissent en paroles, la dynamique relance la découverte des figures du film. La cadence reste la même, une tirade après l’autre, mais sied à la saccade d’une enquête dont le spectateur représente le seul détective.
Ozon investigue lui aussi, quelque part, sur l’identité féminine et la perdition que déclenchent ses sentiments. La majorité de ses détracteurs lui reproche d’étaler sa mise en scène, de contempler sans que l’action ne se rue. Objectons qu’observer réclame du temps. Avec Sous le sable, le français assume une totale lenteur. Celle de Marie, une femme sans histoire qui s’en raconte mille. Lorsque son mari de longue date s’évapore, tous ses repères s’évanouissent avec lui. Fuite après ébullition ? Noyade avant que la lassitude ne fasse boire la tasse au couple ? L’on coule dans l’esprit de Charlotte Rampling, magnifique Marie désemparée, tandis que le doute y ruissèle. Des apparitions se condensent à renfort d’une symbolique aquatique. L’épreuve du deuil nous glace à mesure que l’espoir de revoir l’époux fond. Le film laisse se faufiler des mirages. Jusqu’à sa scène finale, délicieuse ambiguïté qui souffre la patience du rythme calfeutré.
En 2003 paraît Swimming Pool, où Rampling rempile, indissociable de Sous le sable. Ozon façonne un diptyque dans une glaise semblable, empreinte de réflexion sur la solitude et la féminité. Cette fois, le séjour paisible d’une romancière en quête d’inspiration croise les grivoiseries de la fille de son éditeur. L’auteure est à l’origine d’une saga policière éculée… mais qui se vend. Sobre et coincée, elle agence sa vie autour d’horaires strictes quand sa colocataire piétine les structures. Au lieu d’observer passivement le rapport de deux femmes antagonistes, Ozon plonge son public dans la subjectivité de la doyenne. L’on devient ses oreilles, qu’elle bouche quand sa voisine se baguenaude. Son iris, lorsqu’elle dédaigne la jeunesse d’un air hautain. Pourtant, l’on demeure ignorant du contenu de son manuscrit.
Le film se complait longtemps dans cette tranquillité, flottant paisiblement comme dans une piscine. « Y’a pas d’excitation ni d’infini, dedans, c’est juste une grande baignoire », se plaint Julie, la mangeuse d’hommes. Le dernier quart d’heure du long-métrage relève du typhon. Les pages de l’écrivaine prennent une dimension mystique. On reconfigure l’interprétation des scènes d’apparence bégnine. Les cadrages dévoilent quelque symbolique d’altérité tandis que les dialogues dégagent une fragrance passionnelle. Swimming Pool galère tel un esquif, mais son esquisse a l’étoffe d’une galère. Ça déborde d’étrangeté, on ne comprend pas tout. Mais le propos qui émerge provoque plus que des clapotis insignifiants. L’on peut en retirer une symbiose de la complexité de la femme, une éthologie de la vampirisation mutuelle d’un duo de contraires.
Bien des années plus tard, Potiche cherchera aussi à célébrer les battantes. Il peigne d’un trait bien moins subtil. Cette malle à folklore frôle le vaudeville et éternise sa farce. Jeune et jolie pose davantage un constat qu’une philosophie, d’où les relents machistes que la critique lui prête. Pourquoi Ozon zigzague-t-il tant ? Au fond, il traite sûrement plus l’affection que la féminité. Cinq fois deux le prouve. L’œuvre regarde se découdre l’attirance de deux êtres à l’aune des périodes cruciales, à rebours. L’on part du divorce pour atterrir au décollage de la rencontre. Une fois de plus avare en rythme, ce diaporama du couple dit tout l’optimisme d’Ozon : « La fin, c’est le début ». De cette maxime déboule sa productivité intarissable de films plats mais pétillants. Comme un génie que l’on n’enfermera jamais dans sa bouteille, il déverse ses frasques en flaques et y bondit pour écumer les barbotteurs. Sans doute est-ce ce torrent de spontanéité qui le rend tellement attachant, ce trublion-tourbillon.