Ralph Fiennes.
Ce film est l’occasion pour moi de rendre hommage à l’un des meilleurs acteurs actuels, si ce n’est le meilleur. Premièrement, Ralph Fiennes a une présence. Au cinéma comme au théâtre, plus largement quand on est dans la représentation de soi, la présence est une qualité exceptionnelle. De cette « présence » découlent deux choses : le charisme et la prestance, qui sont deux caractéristiques très proches allant dans le même sens. Finalement, quand on réfléchit, il est rare de voir à l’écran une présence plutôt qu’un acteur. Les grands acteurs, comme Leonardo DiCaprio ou Brad Pitt souffrent du prestige qu’ils renvoient, puisque finalement le spectateur ne peut pas s’empêcher de se dire « C’est juste un acteur, certes excellent, mais un acteur quand même ». Ces deux acteurs sont sans aucun doute des monstres sacrés, qui ont des méthodes de travail bluffantes, mais ont-ils cette fameuse présence, ou bien souffrent-ils de leur notoriété ?
Je placerais Ralph Fiennes du côté de Joaquin Phoenix (avant Joker), pour la simple et bonne raison que ce sont de véritables caméléons charismatiques. Ils parviennent toujours à se fondre dans le décor. Il marque les films dans lesquels ils jouent de leur empreinte, car en effet leurs interprétations dépassent le simple jeu, ils vivent à travers leurs personnages.
Ralph Fiennes est *Monsieur Gustav*e - le personnage du 7e art qui m’est le plus sympathique -, Ralph Fiennes est Amon Goeth - un nazi cruel et conditionné -, Ralph Fiennes est Voldemort, un des personnages les plus iconiques de la saga inégale qu’est Harry Potter. L’acteur britannique privilégie le challenge à la facilité. Ce n’est pas un simple acteur, puisqu’il ne s’attache pas à seulement jouer un rôle. Il préfère transcender ses personnages.
Pour finir l’éloge adressé à Fiennes, je voudrais seulement dire que ce dernier était sur le projet de Spider bien avant Cronenberg et qu’il est sans aucun doute - si l’on croit les dires du cinéaste canadien - la raison pour laquelle Cronenberg s’est rattaché au projet.
Je me suis souvent extasié devant le génie du maître de l’horreur corporel, pourtant ce film - bien que thématiquement en accord avec le canadien - est quelque part davantage l’œuvre de Ralph Fiennes.
Spider ou quand l’interprétation dépasse l’histoire et la réalisation.


Rosetta.
Petite parenthèse après avoir fait l’éloge de l’acteur principal de Spider pour cette fois-ci passer une forme de « coup de gueule », même si je déteste cette expression.
En 1999, Rosetta des Frères Dardenne remporte le sacre suprême, à savoir la Palme d’Or. Cronenberg est un des grands partisans de ce sacre, puisqu’il était le président du jury cette année-là. Quelle déception ! Cronenberg est un si grand cinéaste, comment a-t-il pu décerner la Palme d’Or à un film qui est aux antipodes de sa grandeur ? Dénoncer des problèmes sociaux à travers l’Art, d’accord, être misérabiliste, NON. La Palme d’Or devrait être décernée à des films, des œuvres cinématographiques, pas à des sujets ni à des contextes. Certes le cinéma s’inscrit toujours dans un contexte particulier, mais à aucun moment un contexte (ou un sujet) devrait prévaloir sur une œuvre d’art.
Même chose pour La La Land, qui a perdu l’Oscar du Meilleur Film au profit de Moonlight, certes de bonne facture, mais qui n’arrive pas à la cheville du chef-d’œuvre de Chazelle.
« Récompensons des sujets forts, plutôt des œuvres fortes » est le crédo, voyez-vous.
Fin de la parenthèse.


Spider, à ne pas confondre avec Spider-Man de Sam Raimi, sorti la même année est l’entrée dans le XXIème siècle du cinéaste canadien. Comme j’ai pu le dire auparavant, je suis admiratif des années 70 cronenbergiennes, fasciné par ses années 80, mais partagé quand il est question de ses films des années 90. Au niveau de mon ressenti, Spider s’inscrit malheureusement dans la continuité de ses œuvres des nineties. J’ai donc un avis mitigé.


Le générique d’ouverture est grandiose, et promet un film monumental. La musique est incroyable, elle est et installe une atmosphère. Cette composition en question date du XVIè siècle (de la période Élisabéthaine) et évoque la mère de Spider, personnage ambigu car perçu à travers le regard troublé du fils. Cette musique est accompagnée d’images qui ne sont pas sans rappeler le Test de Rorschach (qui détermine l’état psychique d’un patient). D’emblée, à travers quelques notes de piano, une voix religieusement douce et des images, on fait la connaissance du protagoniste.
Cronenberg adapte une œuvre littéraire éponyme de Patrick McGrath (scénariste du film). L’auteur déclare :



L’histoire de Spider, c’est celle d’un cheminement à travers les toiles concentriques de l’illusion pour atteindre la vérité, qui est au centre.



À travers ce pitch, McGrath soulève un voile et nous emmène dans sa toile.
Parce que l’immense qualité du film réside dans son traitement authentique de la folie. L’histoire est racontée à travers le regard (biaisé ?) du patient, et en cela le twist final est plus efficace et l’identification au personnage plus immédiate.
Il n’y a pas d’artifices, contrairement à certains réalisateurs/auteurs qui trouvent dans les maladies mentales un moyen de raconter des histoires. Ça me fait penser à la pétition qui vise la suppression de Split du catalogue Netflix : pour faire court, les deux camps ont raison. On ne peut pas supprimer une œuvre parce qu’elle ne montre pas une vérité, mais d’un autre côté on peut exiger son retrait car elle est volontairement putassière. Je m’égare.
La gare : scène où s’opposent le protagoniste - lent et perdu - à la foule - empressée et décidée. Dans le commentaire audio, Cronenberg avoue d’ailleurs que cette scène a nécessité plus de figurants que pour les autres scènes du film additionnées.


Ralph Fiennes est magistral, l’ai-je déjà évoqué ? Il réussit à ne pas surjouer, et à nous faire croire à un personnage habité par la folie.
Donc, le cinéaste canadien s’éloigne plus ou moins de ses obsessions (la chair malmenée n’est pas à l’appel, la question de la sexualité que faiblement traitée) pour nous immerger de manière minimaliste dans un esprit trop tourmenté. Le fait est que plus Cronenberg vieillit, plus il s’éloigne de ses obsessions premières, et plus il s’attarde sur l’esprit et les failles qui en découlent. Pourtant la dichotomie entre le corps et l’esprit reste présente.
La métaphore de la toile d’araignée est assez simple à comprendre : le protagoniste est prisonnier de ses propres créations (l’araignée tisse ses toiles elle-même) et est cerné par elles. En plus de ça, il en a besoin pour survivre, à l’image de l’araignée qui a besoin de ses toiles pour survivre. Une phrase illustrant cette idée dirait : « ce qui nous tourmente nous fait vivre ».
Le film ne porte pas de jugement sur ses personnages, surtout sur son personnage principal, malade. La fin ouverte n’offre ni un souffle d’espoir ni un crachat de désespoir aux spectateurs. À ces derniers de choisir.
Enfin, je pense qu’il est important de souligner à quel point Cronenberg a pris une décision intelligente en enlevant une voix-off initialement prévue dans le scénario. Cette voix-off - ennemi du *show don’t tel*l - racontait ce que ressentait le protagoniste, comme si le spectateur n’était pas capable d'être emporté par une histoire.
Il ne faut pas tout dévoiler, car l’essentiel est de rendre l’ensemble du métrage le plus réel possible tout en gardant à l’esprit que tout n’est qu’illusion.


Malheureusement, le film manque clairement de rythme et d’efficacité, à cause du sujet, et du désir du cinéaste de ne pas être dans la surenchère. Quelque part, les qualités du film se transforment rapidement en défauts. L’araignée est inoffensive.
Cronenberg tisse une histoire, qui en son centre est solide et forte, mais qui à mesure que l’on s’éloigne de ce centre, devient fragile. L’interprétation de Ralph Fiennes n’en reste pas moins exceptionnelle, celles de Gabriel Byrne et Miranda Richardson sont elles très justes.
Et si finalement tout n’était qu’une question de perception ?


(6,5/10)

sachamnry

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