M. Night Shyamalan est un petit malin. Split est un film exceptionnel, habile, un défi relevé avec brio par un cinéaste qui revient au premier plan. Plus qu'une expérience de salle, c'est aussi un film qui parle du cinéma actuel.


Vendu comme un thriller huis-clos psychopathe horrifique et un pur produit Blumhouse (Saw, Get Out, The Visit, Sinister, Insidious), le film répond au cahier des charges et à ces codes : une ambiance claustrophobe, un personnage déviant, de la tension, une musique et une réalisation oppressante. Mais en réalité, cette facette s'apparente plus à un masque cherchant à nous tromper sur la véritable identité de Split...


[SPOILERS/DIVULGACHIS à partir de maintenant]



Un coup de maître



Le génie du film repose sur le fait de reproduire le même coup qu'un film vieux de 17 ans du même réalisateur. Incassable était un thriller qui sous ses apparences de thriller non-fantastique cachait son vrai visage, celui de la naissance d'un super-héros. Tout y passait, la découverte des pouvoirs, lé déni, la prise de conscience de ses responsabilités, le passage à l'action, la présence d'un véritable vilain au destin sordide.... La logique de Incassable tient toujours, alors qu'il était sorti au tout début voire avant la vague de comic book movies lancée au début des années 2000.


Revenons en 2017, Split sort dans un paysage hollywoodien radicalement changé depuis... Ce genre est désormais LE genre phare de l'industrie hollywoodienne. M. Night Shyamalan, par cette oeuvre, nous en dit beaucoup plus sur celui-ci, ses codes et sa mythologie, qui est à la fois au sommet de sa forme en terme de box-office mais aussi déjà enterrés par la logique Marvel/DC/Fox etc. Malgré le nombre de films sortis par an, ils peinent à nous offrir de véritables piliers modernes du Cinéma, des incontournables pouvant influencer la mise-en-scène d'autres films et proposant des plans et des répliques iconiques.


De façon très maligne, Shyamalan "piège" encore une fois son spectateur, comme s'il n'avait toujours pas compris les codes du film de comic book et des origin stories en général qu'il avait magnifiquement exploités dans Incassable. Malgré son apparence, Split est avant tout la genèse d'un super-vilain.


Malgré l'apparat dont il se vêt, Shyamalan affiche la volonté de remettre de l'ordre dans un genre où le manque d'enjeux forts est flagrant, où les psychologies des personnages sont la plupart du temps survolées au profit d'un spectacle pop et d'une dose d'humour (pas désagréable cela dit) adoucissant toute volonté dramatique et émotionnelle forte.


Dans cet environnement ambiant, ce film fait figure d'exception totale. En temps normal, il aurait dû s'appeler "The Beast : Origins" ou bien "Unbreakable : Rise of the Horde", son affiche aurait dû être colorée et pétillante (Suicide Squad, Les Gardiens de la Galaxie, Thor Ragnarok), et on auraît mis absolument en avant le côté super-héros. Ce n'est pas comme ça que le film a été pensé, pourtant tout comme Incassable il coche toute les cases du genre.


Plus le film avance plus les indices distillés se confirment, faisant entrer petit à petit et dans une gradation constante dans un autre univers, jouant formidablement entre la frontière entre progrès humains et futuristes, transhumanisme et le fantastique.
Malgré ces efforts déployés, le spectateur (moi en l'occurrence) a le réflexe naturel de rejeter le coté fantastique et de rester dans le semblant de réalisme que semble instaurer le film depuis le début. Or Shyamalan croit en son univers, insiste et nous invite à son tour à croire à nouveau aux monstres, au fantastique, aux drames cathartiques, aux pouvoirs surhumains, aux parcours initiatiques, aux héros et aux vilains, aux émotions humaines que le cinéma peut offrir.



Des scènes pivots



Vient le premier choc de Split, une scène mémorable qui vient directement souligner une des meilleures performances d'acteur que j'aie pu voir, Shyamalan laisse James McAvoy porter la scène sans aucun effet de réalisation superflu :
https://www.youtube.com/watch?v=MQUg4zmvMKY
Je vois dans cette scène une allégorie du film lui-même. A force de creuser, la psychologue suivant Kevin finit par le faire avouer qu'il se cachait derrière une facette qui n'était pas sa véritable identité. Le voile est alors le levé, et le film peut déployer ses ailes. On prend conscience de la puissance possible et de la dangerosité de Kevin.


Plus tard, deuxième choc de Split avec une pure scène de naissance du Mal, tout y est : https://www.youtube.com/watch?v=ocNajxwtjBE
- un lieu : le métro dans l'ombre de la nuit.
- un personnage : The Beast, dernière évolution de Kevin.
- une mise-en-scène : Iconisante, un traveling compensé jouant sur l'aspect massif du corps.
Je ne peux m'empêcher d'imaginer ce plan comme une case dans un comic.


A partir de là, le film s'envole et ne joue plus dans la même court dans la tête du spectateur. Tel la Bête, le film use des différents styles qu'il arbore (comédie, thriller psychologique, drame, horreur) pour atteindre sa forme finale, ultime, fondamentale, sommeillant depuis le début, le genre super-héroïque. Il est d'ailleurs intéressant de noter que cette personnalité est la 24ème du film, et qu'un film classique est tourné en 24 images par seconde. Plus de doute, c'est bien une position, un propos sur le Cinéma qu'il cherche à faire passer.


Comme évoqué plus tôt, Split est une oeuvre miroir à Incassable (le titre et les affiches étaient déjà des indices). Ce miroir est physiquement matérialisé dans la dernière scène de McAvoy, servant à montrer la duplicité de toutes les personnalités de Kevin, ne laissant plus aucun doute sur le fait que le film est pleinement ancré à cet instant dans l'univers d'un grand "méchant" de comics, un super-vilain inoubliable.


Et enfin le choc final, une idée incroyable et inattendue, l'apparition de Bruce Willis dans une scène post-générique (marque de fabrique de Marvel Studios). Une manière pour Shyamalan de nous dire : "Ça y est, vous avez saisi ce que je vous montrais depuis le début ?". Nous sommes plus uniquement dans un miroir d'Incassable mais bien dans un spin-off évoluant dans le même univers. Intelligemment, il place la scène après l'écran titre final car le film fonctionne parfaitement sans. Cependant, elle est la cerise sur le gâteau. Y-a-il plus ironique lorsque l'on sent une certaine lassitude des suites, remakes, reboots et spin-offs, de ne pas réaliser que l'on est en plein dedans ? Voilà pourquoi ce film est un pur joyau, et une proposition absolument unique. Cette scène post-générique est à des kilomètres de celles des Marvel de par son audace et la nouvelle lecture qu'elle impose au spectateur. Annonçant une suite qui arrivera assez vite, cette fois Shyamalan ne pourra plus se cacher derrière un masque et j'en trépigne déjà d'impatience.


En parlant de performance, un duo qui crève l'écran :
D'abord, l'immense James McAvoy, qui prend son envol en livrant une performance à la fois outrancière, comique, touchante, dérangeante se calquant qui porte les alternances de ton du film. Un jeu irréprochable et une vraie approche pour chacune des personnalités.
La vraie surprise de ce casting se situe finalement chez Anya Taylor-Joy, jeune actrice très prometteuse qui par l'attraction et la beauté étrange qu'elle dégage convient parfaitement à la partition, en total contraste avec le duo d'amies (si on peut appeler ça comme ça) complètement vaines, insipides et superficielles qui sont enfermées avec elle. La tendresse qu'elle fait preuve à l'égard de Kevin est touchante, et ses traumatismes d'enfance distillés au spectateur au fur et à mesure du récit enveloppent son personnage. Sa fragilité et et ses souffrances finissent par la mener vers la survie, mais la réalité de la vie n'est jamais loin.



Mais d'ailleurs ?



Où peut-on situer son personnage dans la logique inversée à Unbreakable qu'est Split ? Si Bruce Willis est l'opposée de Sam Jackson, en quoi est-elle l'opposée de The Beast ? Quel est alors son super-pouvoir ?
Pas le plus visuel des pouvoirs ni le plus spectaculaire, mais certainement l'un des plus beaux qui soient, se faisant de plus en plus rare : l'empathie...

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le 5 nov. 2017

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BatBerto

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