Une saison en enfer
Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...
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le 9 mars 2013
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74
La scène d'ouverture donne le la : dizaines de corps impeccables en maillots de bain fluo sur une plage de Floride, sautant en tous sens, s'arrosant allègrement, verres à la main dans une ambiance surchauffée. Le côté racoleur est bien là, une sexualité désinhibée assortie de l'inévitable cocktail drogue/alcool, le tout exacerbé par une musique électro très actuelle et vibrante.
Nous voilà donc bien dans un film purement américain, qui va venir peu à peu dézinguer très intelligemment, en le caricaturant à l'extrême, cet American dream - finalement fatalement déviant - une liberté totale dont jouit une jeunesse dénuée d'idéaux.
Nous suivons une bande de copines (dont la si mignonne Selena Gomez) qui passent leurs journées en maillot à s'enfiler de bières et des joints et à allumer tout ce qui bouge : un groupe surtout fasciné par l'argent et par les possibilités qu'il offre de s'emparer de tous les plaisirs à disposition. Pour en gagner, rien de plus simple : un pistolet en plastique et des hurlements et les voilà qui repartent avec un beau pactole, prêt à être dilapidé pendant ce Spring Break dont elles attendent tout, espèrent tout.
Bien vite, elles font la connaissance d'Alien- méconnaissable et hilarant James Franco - un dealer richissime qui vit dans une villa truffée d'armes, de fringues de marque et de kilos d'herbe, et qui passe ses soirées à jeter des billets sur des stripteaseuses en défiant du regard son pote black et sa team.
L'atmosphère du film - et la photographie absolument extraordinaire de Benoît Debie - m'a évoquée à la fois le Refn de Drive (grosses cylindrées filant dans la ville illuminée, couleurs chatoyantes et ralentis) et, par certains côtés, le propos radical de Gaspar Noé dans Enter the Void ou Love : la peinture d'une jeunesse perdue dans les paradis artificiels en quête de frisson permanent, qui s'est appropriée les codes des clips de MTV.
Argent, sexe, drogue, danse et hip-hop : certaines scènes en boîte de nuit sont un véritable voyage coloré à la fois magique et infernal, avec cette musique, ce rap inspiré qui fait onduler les corps au rythme des stroboscopes...
Que de couleurs dans ce film, que ce fut beau (même si parfois, presque un peu trop). J'ai également trouvé très pertinent cette cohabitation de la vulgarité et d'une certaine poésie - la scène sur le bateau entre James Franco et ses trois sirènes, les plans de coupe silencieux et déserts. Et puis, comment résister à cette longue scène ralentie, sur fond des notes candides de Britney Spears, ce mélange de violence visuelle et de douceur auditive ? J'ai trouvé ça tout simplement génial.
C'est un film qui parlera surtout à ceux et celles qui ont été ados au début des années 2000, bercés par la culture des clips MTV, par le rap de Snoop Dog, qui ont dansé jusqu'à épuisement sur Baby one more time, celles aussi qu'hypnotisent les Anges de Victoria Secret et tous ceux qui ont un mélange de désir et de rejet pour cette culture américaine gorgée d'artifices et de miroirs aux alouettes mais si assumée et excessive dans ses désirs qu'elle se meut un objet de fascination.
Spring Breakers est un trip absolu auquel on adhère totalement ou qu'on déteste en bloc : une oeuvre résolument clivante mais une expérience hallucinatoire de première catégorie si vécue dans les bonnes conditions, si l'on accepte de se laisser happer par cet irrésistible tourbillon arc-en-ciel bourré d'ironie, finalement assez mélancolique et esthétiquement sublime.
James Franco, debout sur son lit, éructant sa puissance en brandissant ses armes et ses caleçons Calvin Klein devant un parterre de filles ensorcelées par ces faux symboles de la puissance et de la virilité, séduites par les signes extérieurs de richesse - m'a paru d'une drôlerie incroyable. Une oeuvre dont chaque scène doit être prise au second degré : Korine brosse un portrait au vitriol d'une Amérique perdue dans ses obsessions, livrée à des individus amoraux, par des esprits avides et cupides en quête d'électricité.
Et pourtant, tout n'est pas si simple : la scène du piano romantique sur la plage, avec ces filles à cagoule estampillées licorne (!!) qui se mettent à danser, la douceur de ce moment, son absurdité aussi, la chaleur de ses couleurs, ce qu'il dit du goût féminin pour l'eau de rose et la sérénade, m'a paru extrêmement brillant. Pour, la minute d'après, placer ces mêmes nanas décérébrées, à califourchon sur Franco, deux flingues dans la bouche. La symbolique est bien là, Eros et Thanatos version Harmony Korine en Floride en 2013. Cherry on the cake : le film se ferme (brillamment d'ailleurs) sur le très efficace Lights d'Ellie Goulding.
On l'aura compris, j'ai absolument adoré l'audace de ce film, sa radicalité, son image incroyablement belle, les multiples virages que prend le scénario - thriller, comédie, peinture sociétale - et surtout, surtout, ses choix musicaux qui sont une ode générationnelle à la décennie 90-2000.
Drôle, politiquement incorrect, très inspiré, passionnant dans son discours, visuellement magnifique, doué d'une mise en scène magistrale : Spring Breakers est, pour moi, un vrai coup de coeur et une réussite absolue.
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Créée
le 6 sept. 2016
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