Film de Milgram
Bien sûr, il ne s'agit pas d'un chef-d'oeuvre. Mais enfin, j'aimerais assez essayer de défendre ce film qui n'est pas dépourvu d'intérêts. La photographie est en particulier remarquable et sert...
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le 4 nov. 2010
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Pour comprendre le premier long-métrage de Cronenberg, il faut partir d’une de ses déclarations à propos du film :
I didn’t write a script for Stereo ; it was being invented as it was
made. The voice-over was written afterwards.
En effet, autant dans sa forme que dans son fond, Stereo est déconcertant. Il n’y a pas de bande originale, pas de dialogues, une voix-off et les silences étant les seuls ressorts narratifs.
Dès l’ouverture du film, avec l’arrivée silencieuse d’un hélicoptère (véhicule reconnu pour être très bruyant) on comprend que le film va être expérimental et particulier.
Stereo pose les jalons de la future filmographie de Cronenberg. Ses obsessions sont toutes présentes, sans pour autant être très bien exploitées. Le futur nous montrera que ses obsessions finiront par être exploitées à la hauteur de leurs potentiels.
Pour commencer, la dichotomie entre le corps (ou la chair) et l’esprit imprègne son récit et traverse sa filmographie. Dans Stereo, il y a toute une étude du rapport entre le corps et l’esprit, ce qui fait écho au sujet principal du film : la télépathie. De la télépathie découle le concept de dominance, d’une part d’un esprit individuel par rapport à son corps individuel et d’autre part d’un esprit par rapport à un autre esprit (étranger).
La question que soulève Cronenberg dans ce film (qui se révèle plus être dans le fond un mémoire de recherches qu’une œuvre cinématographique) est la suivante : À quel point la pensée dépend-elle du langage ?
À travers les expériences perpétrées (les patients subissent une opération du cerveau), Cronenberg va tenter de répondre à cette question, partiellement.
Mais il n’y a pas seulement la dichotomie corps/esprit présente dans son premier film, il y a également la violence et la sexualité : l’expérience en elle-même est violente d’un point de vue moral, mais également la violence physique à travers les gifles de l’homme sur la femme à la fin du film. La sexualité est elle traitée très frontalement, voire même théorisée. On parle d’omnisexualité dans le cadre de l’expérience. De plus, certains corps finissent par s’unir dans une logique où « L’amour triomphe de tout ». Dans les rapports sexuels, ce sont la chair et la sexualité qui sont mises en avant, notamment dans une scène où la peau du corps (ses « poignées d’amour ») d’une jeune femme est saisie, malaxée par son vis-à-vis. Cette scène à elle seule résume les obsessions de Cronenberg.
Enfin, le pouvoir des institutions est une thématique ancrée dans l’imagination cronenbergienne et dans ce film est incarné par The Canadian Academy For Erotic Enquiry, qui au péril de la vie de ses cobayes étudient les théories de Luther Stringfellow. Dans un sens, cette institution structure et contrôle le destin de ses sujets, tout en étant potentiellement la cause de leurs destructions.
Ainsi, Stereo pose véritablement les jalons du travail de Cronenberg. Et pourtant…
Même si ce huis-clos est intéressant à étudier, et surtout à inscrire dans l’œuvre du cinéaste canadien, il n’en reste pas moins truffé de défauts. Certains effets ont mal vieilli, comme les ralentis lorsque la voix-off prend le dessus.
Le rythme du film est victime des longues séquences silencieuses et de l’absence de notes musicales (ironiquement, il va finir par collaborer à de nombreuses reprises avec Howard Shore, un des meilleurs compositeurs de musiques de film). Les acteurs sont agaçants, surtout l’acteur principale avec son regard ahuri, qui rappelle un poisson rouge. D’ailleurs petite parenthèse, sur cette idée de poisson. Cronenberg a dit de son film « There is definitely a sense of looking into an aquarium ». Finalement, le regard de poisson rouge de son personnage principal entre parfaitement en accord avec cet aquarium.
Les différentes voix-off sont inégales, des respirations très fortes et une diction parfois discutable rendent les seules phrases du film très hésitantes.
Ces mêmes phrases qui sont d’ailleurs une succession de mots très complexes, et d’idées très intéressantes. Mais encore une fois, un sujet intéressant ne fait pas forcément une bonne œuvre cinématographique. La masturbation intellectuelle n’est pas du goût de tout le monde.
Pour finir sur une note positive, les mouvements de caméra très kubrickiens sont à souligner et témoignent d’une réelle maîtrise derrière la caméra de la part du cinéaste canadien, même si le sens des cadrages est le point le plus important de ce film. Chaque cadre est millimétré.
Pour son premier film expérimental et par ailleurs aidée financièrement par une société de production pornographique, Cronenberg réalise l’exploit de nous ennuyer tout en nous intriguant.
L’essence de son œuvre naît de la jouissance, se perpétue dans la violence, s’étudie avec la science et s’attarde sur l’existence.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes 2020: découvertes et redécouvertes filmiques, Les titres courts, ça en dit long..., La dualité cronenbergienne, Les meilleurs films de David Cronenberg et Ma collection D(orée) V(intage) D(élicieuse)
Créée
le 17 juin 2020
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