En traversant le Pacifique pour sa première expérience anglophone, Park Chan Wook a eu du bol de tomber sur des producteurs qui ne voulaient pas le brider, mais au contraire conserver tout ce qui fait la force de son style. On y perd forcément un peu. Si Park était également scénariste sur sa trilogie de la vengeance, ici le scénario était tout frais tout prêt (et accessoirement signé Wentworth Miller, comme quoi...). Mais même s'il n'a pas la mainmise totale sur le film, il a pu imprimer sans souci sa patte visuelle, son sens décomplexé de la belle violence, et son refus d'une narration 100% linéaire. Ca a l'air de rien comme ça, mais dans le contexte du thriller hollywoodien, le résultat a la résonance d'un séisme.
Stoker, c'est avant tout un film de splendides tarés qui ne disent pas leur nom. C'est aussi la peinture d'un parcours initiatique empreint d'un absolu nihilisme, dans lequel la violence et la domination sont les marques de l'émancipation. India, qui a passé la majeure partie de sa jeunesse dans un cocon reculé en évitant méticuleusement le moindre contact physique, s'affirme et devient femme en découvrant le désir et l'excitation après l'arrivée de son oncle psychopathe. Tout en laissant quelques pans de mystère assez frustrants sur la psychologie d'India, la mise en scène sensuelle de Park nous plonge littéralement dans son esprit, pour une escalade malsaine vers son âge adulte à elle. Faisant fi de la moralité, on s'attache jusqu'au bout à cette anti-héroïne avec d'autant plus de fascination que Mia Wasikowska livre une interprétation d'une subtilité magistrale, alors que je trouvais cette actrice plutôt fade au demeurant.
Sordide et sauvage, la conclusion n'en est que plus libératrice, tandis qu'India prend enfin son envol dans ce qui apparait, paradoxalement, comme un happy end d'une élégance morbide. Ce n''est pas la plus mince prouesse de cette oeuvre simple mais grandiose, qui comme les précédents films de Park, ne ressemble qu'à elle-même.