S’il est difficile d’obtenir des chiffres fiables sur le pourcentage de personnes asexuelles dans le monde (je n’ai pas trouvé d’études de grande envergure sur le sujet), notamment à cause de l’injonction forte à la normativité sexuelle et le manque de visibilité de cette orientation, il reste indisputable que les personnes avec pas ou peu d’attirance sexuelle existent. Par voie de fait, il est tout naturel que cette orientation sexuelle finisse par être représentée, comme dans Straight Up de James Sweeney, sorti en 2019, qui met en scène des personnages asexuel•les. Bienvenue dans cette TIQUE
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Cette comédie romantique met en scène l’histoire d’amour de Todd et Rory, deux jeunes adultes de Los Angeles. Le premier travaille comme « house sitter » (s’occuper d’un logement, l’entretenir et le garder pendant l’absence de ses occupants) et est apprécié pour ses TOC qui le poussent à garder le logement dans un état de propreté impeccable, alors que cette dernière essaie de devenir actrice mais galère du fait de ses difficultés à se sentir connectée émotionnellement aux autres. C’est également en partie le cas de Todd, qui traverse une crise de sa vie amoureuse : il est attiré par les hommes mais ne parvient pas à s’épanouir avec ; il décide alors d’essayer de sortir avec des femmes, sans grand succès non plus.
Les deux protagonistes se rencontrent dans une bibliothèque alors que Todd range un rayonnage : Rory suppose naturellement qu’il y est employé et s’adresse à lui. Iels finissent par passer le reste de la journée ensemble à discuter jusqu’à une scène beaucoup trop mignonne, que je m’apprête à spoiler, attention :
elle a trop bu et s’allonge sur la moquette, lui à ses côtés. Après un temps de silence, il lui demande s’il peut prendre sa main. Elle répond « oui » et, après une seconde, c’est elle qui prend la sienne. Les deux personnages partagent un air de contentement, cut.
Ce qui rend cette scène particulièrement émouvante, c’est à la fois sa simplicité et tout ce qu’elle évoque de la relation future entre Rory et Todd. C’est elle qui sera plutôt vectrice de changement et force de décision, notamment, mais surtout que, si amour il y a aura entre les deux personnages, il n’y aura pas d’attirance sexuelle. Ce point en particulier sera traité de façon tout à fait naturelle (pendant un premier temps), normalisant la manière de vivre des personnes asexuelles. On ressent et voit bien que les deux s’aiment intensément (et s’entendent à merveille, grâce à des dialogues très drôles), mais le sexe ne rentre pas dans l’équation, et c’est très bien comme ça – ce seront même des pressions extérieures qui les pousseront à se poser des questions à ce sujet.
Si le début du film est donc particulièrement enthousiasmant, la deuxième moitié perd malheureusement de son souffle, et l’on comprend moins les changements des personnages, jusqu’à une fin très ouverte. Une certaine lassitude tend à pointer également, puisque les dialogues forment l’immense majorité du film et qu’eux seuls le rythme. On aurait pu aussi espérer focaliser les problèmes plutôt sur la situation professionnelle des personnages, plutôt que sur l’aspect queer, afin d’encore accentuer le fait que ce genre de relations peuvent très bien se passer.
Enfin, un petit mot sur la technique : le film est tourné en 4:3, donc carré, et la symétrie des plans est très travaillée. On a souvent un sentiment d’enfermement dans le cadre, tout comme les personnages les sont des conventions, par exemple. Ce format accentue encore plus les dialogues pour en faire de véritable tête à tête, nous plongeant au cœur de la subjectivité des personnages, mais aussi de ce couple. Nous voyons son évolution en direct, en étant au centre d’eux. Globalement, l’image est très nette et lisse, avec un côté presque théâtral dans la précision de l’ensemble.
Straight Up est, en définitive, un film qui sort du lot par la qualité générale de ses dialogues, souvent drôles et parfois touchants, accompagnés par des performances excellentes de la part des deux acteurices principaux•les. Cependant, il pêche sur son propos et tant à s’embrouiller dans la longueur, ce qui est un peu dommage. Pour autant, voir traiter un sujet tel que l’asexualité (ou la queerness en général) fait toujours plaisir et permet une recommandation.