Membre phare de cette communauté de cinéastes plus ou moins indépendants américain, Jim Jarmusch est célèbre pour plusieurs films et notamment Stranger than Paradise où il décrit l'ennui d'une jeunesse désabusée. Description si réaliste d'ailleurs qu'elle finit par contaminer le spectateur qui ne fait rien, voit juste des travellings et des images en noir et blanc en se demandant le but de tout ça. Rien à faire, on s'ennuie, on erre a travers des paysages sans charme, avec des personnages qui n'ont rien d'attachant et on attend désespérément que quelque chose arrive, en vain.

En cela, le film est très bon puisqu'il réussit à communiquer une émotion au spectateur. L'ennui guette tout le monde, il n'y a rien à faire, pas de distractions, juste de la débrouille. Métro, boulot, dodo. Le rêve américain, il n'existe pas, il n'est qu'une fantaisie de publicité, travailler pour manger, manger pour travailler, les loisirs sont futiles et en même temps, on rêve d'y avoir accès. De la désolation dans la plus grande puissance du monde, des immigrés en quête de richesse tentant de survivre dans un monde qui n'est pas si accueillant. C'est une réalité, pas si dérangeante dans ce sens où elle est bien connue, bien établie. Triste réalité, c'est vrai, mais rien d'autre. Alors en faire un film, la dénoncer, aller jusqu'au bout du procédé, de la théorie est-il finalement si intelligent ?

La réponse est clairement non. L'ennui c'est long. L'ennui, c'est lourd. L'ennui, on n'en veut pas. L'ennui, ce n'est pas de la contemplation, ce n'est pas le fruit d'une réflexion mûre et profonde. L'ennui c'est juste ce que c'est, c'est chercher à se sortir d'une situation pénible sans y arriver. C'est voir les minutes défiler, comprendre la signification de la relativité du temps. Ce n'est rien de plus, rien de moins. Et il ne faut pas un film d'1h40 pour le montrer. Incorporer quelques mouvements assez audacieux pour laisser la caméra fixe la plupart du temps n'aide pas spécialement à remonter le niveau et les paysages pauvres, parfois hideux de l'Amérique qu'on peut voir n'aident pas.

Il est d'autant plus difficile d'accepter ce Stranger than Paradise, astucieusement appelé de la sorte à cause de la construction en trois parties du récit, comme une référence quand on voit ce dont est capable Jim Jarmusch sur d'autres films comme Ghost Dog ou bien Dead Man. Et il est même carrément impossible de le considérer comme une référence quand on voit combien ce film a pu induire en erreur toute une génération de cinéastes indépendant : une histoire est nécessaire quand on veut raconter un film et choisir le noir et blanc ne rend pas forcément le film meilleur, cela peut aussi le rendre "cheap" et juste ajouter à l'ennui communiqué au départ.

Les acteurs sont creux. Ils ne sont pas convaincus, pas plus que les personnes à qui ils s'adressent, ils ne sont pas sympathiques, ils sont même plutôt agaçants. Seulement, on ne peut pas leur reprocher ça étant donné l'histoire de base qu'ils doivent jouer. Ce qui peut arriver (ou ne pas arriver) aux protagonistes ne va pas changer la donne, le spoiler est impossible en ce qui concerne le film tant l'intrigue n'en est pas une. Qu'on se le dise, il ne se passe strictement rien et le pauvre rebondissement final n'est qu'au plus un léger sursaut. On le voit arriver, on le sait et de toute façon, il arrive bien trop tard pour qu'on s'attarde dessus.

Stranger than Paradise est un film pauvre, de tous les points de vue. Il n'a rien d'exceptionnel, on ne se souvient pas des noms des personnages, on ne se souvient pas du nom des parties (hormis la dernière), on ne se souvient pas des "péripéties", on l'oublie, c'est tout.
Carlit0
4
Écrit par

Créée

le 3 sept. 2012

Critique lue 1.6K fois

13 j'aime

5 commentaires

Carlit0

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

13
5

D'autres avis sur Stranger Than Paradise

Stranger Than Paradise
Amal
8

Critique de Stranger Than Paradise par Amal

J'adore Jarmusch. Je n'y peux rien. J'ai une sensibilité poussée en ce qui concerne son cinéma minimaliste et son silence. Là, c'est noir et blanc, il y a John Lurie, Screamin' Jay Hawkins et des...

Par

le 4 juil. 2010

25 j'aime

Stranger Than Paradise
oswaldwittower
8

La mort du rêve américain.

Une succession de plans séquences fixes, articulés en trois chapitres, filmés dans un noir et blanc profond et contrasté. Dans une Amérique miteuse et morose, trois personnages qui s'ennuient se...

le 16 août 2013

19 j'aime

Stranger Than Paradise
olcolo
6

Soigner l'ennui par l'ennui.

Le noir et blanc, des plans fixes, jamais bavard, de belles images et des acteurs sobres. Au début je me suis ennuyé comme les personnages du film s'ennuient. C'est un film sur l'incommunicabilité ,...

le 25 juin 2011

17 j'aime

Du même critique

Holy Motors
Carlit0
2

Monsieur Merde

Depuis Cannes, à peu près toutes les critiques vantent les mérites d'un réalisateur de retour après onze années d'absence des plateaux de tournage : Leos Carax. Scandale totale dans la presse,...

le 13 juil. 2012

27 j'aime

24

Jules et Jim
Carlit0
3

Jeanne Moreau, ses plans culs, son égoïsme et le reste du monde

Je ne connais que très peu l'œuvre de François Truffaut et si les 400 coups m'a véritablement emballé, l'homme qui aimait les femmes a été un grande déception. Et quand tout le monde m'a parlé de...

le 11 janv. 2012

27 j'aime

Les Anges déchus
Carlit0
9

Les amours impossibles

Se plonger dans le cinéma asiatique, c’est a priori, devoir découvrir plus en profondeur l’œuvre de l’un de ses maîtres : Wong Kar Wai. Car si In the Mood for Love est magistral, emplie d’une beauté...

le 4 févr. 2013

20 j'aime

8