Le film d'Audrey Estrougo comporte quelques défauts et maladresses, mais "Suprêmes" a complètement fonctionné sur moi, j'ai marché à fond malgré la ressemblance douteuse du jeune Théo Christine avec Joey Starr (la première scène fait un peu peur, mais ensuite on zappe très vite la question).
La construction narrative se révèle pertinente, le film débutant peu avant la première scène du groupe au Globo en 1988, et s'achevant juste avant le premier concert au Zénith de Paris en 1992.
Par ailleurs, l'aspect formel est une réussite, avec une reconstitution soignée et une photo volontairement très colorée, de sorte qu'on se retrouve plongé avec délice au virage des décennies 80 et 90, durant 1H45 qui passent à la vitesse grand V.
Les séquences de concert sont immersives, et on assite également à deux très belles scènes de création artistique (la nuit sur les toits, puis en studio).
Si les jeunes Sandor Funtek et Théo Christine crèvent l'écran dans les rôles principaux, les personnages de Frank Chevalier ("Sourire") et Seb Farran ("Cheveu") sont eux aussi brossés efficacement, et incarnés par des comédiens attachants.
Mieux, le film ne fait pas abstraction de la problématique du collectif (au départ revendiqué et idéalisé) par rapport à l'individualisme (finalement assumé) au sein du crew NTM, composé à l'origine d'une trentaine de membres ; certes, l'approche reste sommaire, mais cette question épineuse est au moins abordée.
De manière générale, on pourra reprocher à "Suprêmes" un aspect parfois expéditif voire superficiel, comme beaucoup de biopics : ainsi, on aurait aimé que le background de Kool Shen soit mieux développé, car en l'état Joey Starr est mieux servi, souvent au centre du récit (conformément à la première version du scénario, un biopic sur Didier Morville).
Par ailleurs, la vie quotidienne dans les cités n'est montrée qu'en arrière-plan, on est clairement dans le registre du divertissement, et non dans un film social sur la banlieue (certains le regretteront).
De même, le contexte politique est régulièrement évoqué mais peu analysé, et les reconstitutions médiatiques ne sont pas toujours très heureuses.
En dépit de ces quelques options discutables, "Suprêmes" constitue à mes yeux un excellent biopic musical, qui comblera surtout les fans de la première heure, mais devrait aussi intéresser les non-initiés.