Attention je discute ici de points d’intrigue pouvant être considérés comme des spoilers , lisez ma conclusion et venez lire la suite après avoir vu le film.


Le projet de remake de Suspiria date de 2008 et devait être à l’origine mis en scène par le réalisateur David Gordon Green, qui avait co-écrit un scénario avec son concepteur sonore et avait choisi au casting Isabelle Huppert, Janet McTeer et Isabelle Fuhrman dans les rôles principaux avant que des problèmes financiers ne fassent dérailler le film (Gordon Green a finalement eu son quasi remake avec Halloween). C’est finalement Luca Guadagnino auréolé du succès de Call me by your name qui relance le projet et fait écrire le scénario par son complice de A Bigger Splash (remake de La Piscine de Jacques Deray) David Kajganich dont il reprend également les deux actrices principales Dakota Johnson et Tilda Swinton. Comme l’original son film suit Susie Bannion interprétée par Dakota Johnson, une jeune américaine élevée chez les mennonites (un mouvement chrétien évangélique issu du protestantisme) qui souhaite danser dans la compagnie berlinoise de la mystérieuse Helena Markos. Elle se rend à Berlin et sa première audition séduit immédiatement la chorégraphe Madame Blanc (Tilda Swinton), qui l’engage sur le champ. Une chambre se libère dans le dortoir suite à la disparition d’une autre danseuse, Patricia (Chloë Grace Moretz). Certains murmurent qu’elle s’est enfuie pour rejoindre les terroristes, mais le spectateur soupçonne tout de suite quelque chose de plus sinistre puisque le film s’ouvre par une scène qui la voit prise de panique, déclarer à son psychiatre, le Dr. Klemperer (Lutz Ebersdorf), que les professeures de l’académie Markos sont en fait des sorcières qui comptent la détruire. Le praticien met ses craintes sur le compte d’un délire de sa patiente, mais après la disparition de Patricia commence sa propre enquête. Pendant ce temps, Susie monte rapidement dans les rangs et alors que les phénomènes étranges se multiplient Madame Blanc la sélectionne pour jouer le rôle principal dans la pièce de danse la plus célèbre de la compagnie baptisée Volk.


On réalise assez vite que Luca Guadagnino n’est nullement intéressé par une comparaison avec son compatriote transalpin Dario Argento mais approche ce remake – qui s’ouvre avec un emphatique « Suspiria Six actes et un épilogue dans un Berlin divisé » – avec l’ambition de marcher dans les pas d’un Stanley Kubrick quand il s’attaque à Shining de Stephen King. Cadres travaillés, décors imposants, rythme solennel, le nouveau Suspiria est un mystère à combustion (très) lente, à la rigueur austère qui s’affranchit de tous les éléments de slasher (plus exactement de Giallo) de son modèle. Guadagnino déclare même avoir voulu réinventer le film à la manière de Rainer Werner Fassbinder (dont une des interprètes fétiches Ingrid Caven fait partie du casting). Il tourne ainsi volontairement le dos au choix de son prédécesseur : à la palette chromatique baroque exubérante du directeur de la photographie Luciano Tovoli (J.F. partagerait appartement, Suspiria et …Le dîner de cons ) et au rock progressif anxiogène de Goblin succèdent des tons beiges et gris de Sayombhu Mukdeeprom (Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures et Call me by your name) et les berceuses entêtantes de Thom Yorke (de Radiohead).


Le film se déroule en 1977 (année de sortie de l’original) mais délocalise l’action de la Suisse vers le Berlin de la guerre froide, où la façade au style brutaliste de son académie de danse fait face à une section du fameux mur. Le réalisateur de Call me by your name est ainsi déterminé à donner à son film une portée au-delà du simple exercice de « genre ». Puisque il est question d’une congrégation de sorcières les thèmes féministes figurent en bonne place. Le casting est d’ailleurs presque exclusivement féminin, le principal protagoniste masculin, le vieux psychanalyste Klemperer est incarné en fait par Tilda Swinton, qui tient aussi le rôle de Madame Blanc, la chorégraphe-gourou de la troupe, sous le pseudonyme de Lutz Ebersdorf. On peut voir néanmoins une contradiction dans le message de Guadagnino puisque ses sorcières, métaphore d’un pouvoir féminin en révolte contre les horreurs commises par des hommes, passent le plus clair du film à conspirer et maltraiter leurs danseuses. Si la performance et le maquillage de Swinton sont indéniablement impressionnants on s’interroge sur la finalité d’un tel artifice. Il en de même pour la plupart des éléments de contexte politiques (des bulletins d’actualité incessants rappellent le climat de l’époque avec une Allemagne en proie au terrorisme de la fraction armée rouge) ou historiques (la culpabilité persistante des survivants dans l’ère post-nazie est évoquée via la recherche par Klemperer de sa femme disparue pendant la guerre interprétée par Jessica Harper la vedette de l’original dans un cameo) dont on se demande à quoi ils servent dans cette histoire d’académie de danse qui cache un groupe de sorcières.


On ne peut que regretter son approche un peu dédaigneuse du genre car dans les rares occasions où Guadagnino tente d’effrayer le spectateur il se montre très efficace, les montages fragmentés qui composent les cauchemars qui assaillent les danseuses (vers, visages diaboliques, images de torture) sont authentiquement effrayants, l’ambiance est souvent malsaine et il conçoit sans doute une des meilleures séquences horrifiques de ces dernières années à la fois inventive et insoutenable. Alors que Susie tente de convaincra Blanc de lui confier le rôle principal du ballet signature de la compagnie que vient d’abandonner sa vedette, cette dernière est séquestrée dans un studio couvert de miroirs et se retrouve projetée à travers la pièce telle une poupée de chiffon par une force invisible parallèlement aux mouvements de Susie, ses membres se tordant et se brisant sous l’impact la réduisant à une masse informe d’os brisés d’où s’écoulent salive et urine.


Dakota Johnson incarne Susie avec à la fois des yeux béats, une voix acidulée d’innocente et une étrange détermination qui rend son personnage indéchiffrable. Censée être le point d’entrée du spectateur dans cet univers elle n’est jamais vraiment affectée par l’ambiance sinistre de l’académie dans laquelle elle semble au contraire s’épanouir. C’est à sa camarde de chambrée, Sara incarnée par Mia Goth (Cure for life) à qui revient le rôle de la jeune fille trop curieuse. Les instructrices du ballet sont interprétées par un groupe d’actrices qui compte d’anciennes gloires du cinéma européen des années 70, Ingrid Caven (ancienne épouse de Fassbinder), Angela Winkler icône de la nouvelle vague allemande et Renée Soutendijk muse de Paul Verhoeven dans sa période hollandaise mais aussi l’actrice française Sylvie Testud dans un rôle muet ou l’ancien top-model Alek Wek.


On devine tout au long du film que les sorcières cherchent une « élue » afin qu’elle devienne la prochaine… quelque chose. La révélation de cette chose arrive dans le cadre d’une scène complètement dingue qui va à coup-sur diviser le public, à l’image de la scène finale du Mother! de Daren Aronowski, entre ceux qui y verront une scène risible et grotesque d’un coté et de l’autre ceux qui y verront une catharsis baroque. On tachera de ne pas trop en révéler le contenu mais elle tourne autour de la révélation d’Helena Markos, l’ancienne sorcière qui prétend être l’une des trois «mères» de la mythologie d’Argento (interprétée derrière des lunettes de soleil sous une épaisse couche de maquillage de chairs en putréfaction par vous l’aurez deviné – Tilda Swinton !) dans une scène de Sabbat baignant dans les tripes entre grand guignol et installation d’art contemporain. Nous sommes resté partagés entre appréciation pour l’audace du jusqu’au-boutisme gore de cette séquence et la perplexité devant la confusion qui y règne.


Conclusion : Suspiria a les vertus esthétiques et l’ambition d’un film d’horreur haut de gamme, mais en dehors d’une séquence d’anthologie, son ésotérisme, plus cérébral que viscéral et son rythme languissant en font un spectacle assez hermétique et parfois vain.

PatriceSteibel
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le 14 nov. 2018

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