"Ceux qui restent"
"Suzanne" est avant tout un film de l'absence. Ce qu'elle laisse sur les visages, dans les gestes de ceux qui restent. C'est d'abord l'absence d'une mère qui se fait sentir dès le début du film,...
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le 1 janv. 2014
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ATTENTION, CETTE CRITIQUE COMPORTE DES SPOILS !
Ne la lisez pas si vous ne voulez pas savoir l’histoire avant d'avoir vu ce film.
Ce film, éminemment touchant, retrace le parcours, durant vingt-cinq ans, de deux sœurs orphelines de mère, et de leur père qui les a éduqués seul.
Il y a une cohésion incroyable dans cette famille et un lien très fort qui unit les deux filles et leur père.
Dans la première partie, on voit les sœurs enfants. Elles sont, rigottes, pleine de joie et d'humour, hyper complices, très proches de leur papa, comme si la disparition de leur mère avait laissé une grande place au père. Leur père est très fier d'elles et il les couve du regard. Tous trois vont régulièrement sur la tombe de la maman décédée et ils y mangent leurs sandwichs, comme s'ils allaient rendre visite à un membre de la famille vivant. C'est ancré dans leurs habitudes.
Les filles grandissent et les ennuis aussi.
Suzanne, l’aînée des filles, hyper sensible, un brin rebelle, décide de garder l'enfant qu'elle porte alors qu'elle est encore lycéenne, sans avoir rien dit à son père. Il découvre la nouvelle stupéfait, dans le bureau de la proviseure.
Le père est atrocement déçu, du manque de confiance de sa fille vis à vis de lui. Comment a t'elle pu lui cacher une nouvelle pareille ? Quelle incidence cette naissance va avoir sur la vie de la jeune femme et par ricochet, sur toute la famille ? L’inquiétude domine. Cet enfant, Suzanne reconnait qu'elle l'a voulu. Elle en avait envie tout simplement, clame t'elle.
Une femme enfant qui attend un enfant..
On sent l'immaturité affective chez Suzanne, pour qui la vie semble être une succession d’événements, non réfléchis.
Mais la famille va s'adapter, comme toujours, aux décisions folles de Suzanne. Le petit Charlie grandit, entouré de son grand-père, de sa mère et de sa tante.
Et puis, la vie monotone de Suzanne va trouver un nouveau ressort en la rencontre avec Julien, jeune homme charmant, qui l’ensorcelle et l'attire bien vite dans ses combines.
Suzanne est face à un choix cornélien pour elle : partir avec Julien ou rester avec sa famille et continuer à élever son fils ?
L'envie d'aventure et l'amour sont plus forts, mais à quel risque ?
Le manque de Suzanne va durer deux ans pour ceux qui restent.
Le papa et la sœur, garde-fous des retombées de Suzanne se pressent à son chevet, malgré la douleur de la voir s’empêtrer dans ses problèmes et la déception qui va avec, l'impression d'avoir été trahis devant ses choix incompréhensibles.
Charlie a été placé. Une avocate la sort de là, mais Suzanne retombe. Elle ne peut pas s’empêcher ... Elle aime trop son Julien, dont le côté mauvais garçon dominateur la fascine. Elle est prête à repartir, quitte à trahir les valeurs de respect et d’honnêteté que son père lui avait transmises et à laisser sa sœur qu'elle adore.
Abonnée aux erreurs ? Traumatisée de la perte de sa mère, elle s'accroche à l'amour, mais à quel prix ?
Et puis, le choc de la découverte du décès brutal de sa sœur va occasionner chez elle un électrochoc. Elle refuse, elle réagit : enfin ... Trop tard ?
J'aime le long regard final de Suzanne sur ses enfants, un regard plein de fierté, revenu de loin, gage de résilience ?
Cette histoire racontée sur une période de vingt-cinq ans avec de nombreuses ellipses qui éludent quelques épisodes cruciaux comme les grossesses, les délits du jeune couple en cavale, le placement de Charlie, le décès de Maria, s'attache à montrer plus que les actes eux-mêmes, mais les conséquences des actes sur la vie des personnages, sur les sentiments, leurs émotions.
Ces ellipses sont rafraîchissantes, impriment un certain rythme au film et évitent de tomber dans certains poncifs, comme celui de la fuite des amants maudits.
Finalement, ma réflexion est que c'est un film sur la transmission, même s'il n'y paraît pas. Le père n'aurait-il pas transmis à sa fille Suzanne (et aussi à son autre fille Maria), son amour des autres, de la famille, son sens du sacrifice ? Une thèse à creuser, que je n'ai lu dans nulle autre critique sur ce film.
Il faut parler des acteurs, car tous sont formidables.
Les deux enfants qui interprètent Suzanne et Maria enfants sont pleines de bagou et d'un grand naturel.
Le charme irrésistible de Sara Forestier est envoûtant. Elle campe avec brio la fille sincère mais paumée, victime de sa vie, de ses mauvais choix. La réalisatrice, Katell Quillévéré a rapporté de Sara Forestier : "pendant le tournage j’étais fascinée par la maturité émotionnelle de cette jeune femme de 25 ans. Elle pouvait tout exprimer, la violence de la passion amoureuse, la douleur du deuil, les joies de la maternité, comme si elle avait déjà eu cent vies…".
Adèle Haenel est comme à son habitude, pétillante, les yeux sombres d'inquiétude pour sa sœur parfois, protectrice envers sa sœur et son neveu. finalement, c'est un peu elle la mère d'adoption, alors que c'est la plus jeune. Ce n'est pas pour rien qu'elle ait remporté le césar de la meilleure actrice dans un second rôle pour ce rôle !
François Damiens est un papa émouvant, plein de tendresse, courageux, mais dérouté souvent, perdu, catastrophé des catastrophes successives qui semblent comme lui tomber dessus. C'est un symbole de résistance et de résilience.
Paul Hamy qui joue Julien a été nominé pour le meilleur espoir masculin lors de ces mêmes césars.
Enfin, les trois jeunes acteurs qui jouent Charlie à trois âges différents sont tous très doués. Il s'agit de Thimothy Vom Dorp pour Charlie enfant, de Maxim Driesen, le pré-ado breaker et de Jaime Da Cunha l'ado. Thimothy Vom Dorp a depuis fait une belle carrière, en jouant notamment dans Pillules Blues, Le fils de Jean et Dans la forêt.
Quant à Katell Quillévéré, ce second long métrage lui apporté un grand succès, une sortie de l'ombre, elle qui n'avait fait que deux courts métrages restés assez confidentiels et un premier long sur l'adolescence, peu connu. Espérait-elle un tel succès même si le film avait été présenté en ouverture de la 52ème Semaine de la Critique, dans le cadre du Festival de Cannes 2013 ?
Elle a choisit le titre en hommage à la chanson de Léonard Cohen.
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Créée
le 23 mars 2017
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