Aucun homme n'est une île, complet en soi-même ; chaque être humain est une partie du continent, une partie du tout.
Cette phrase de John Donne résume à elle seule le fond du film masqué par la loufoquerie en surface de cette odyssée poétique qui cache diablement bien son jeu.
Car en première lecture, Swiss Army Man ne nous compte que l'histoire d'un homme, seul sur une île après que le bateau dans lequel il se trouvait ait fait naufrage. Seul jusqu'à ce qu'un corps rejeté par la mer ne viennent lui sauver la vie, bouée de sauvetage inerte et putrescente aux intestins balonnés, et par la mer balloté. Un signe ? Une chance à saisir. La mort a déjà un corps. Elle attendra donc encore un peu. Mets les gaz Potter et ramène moi au continent. Ce sera ta première utilité.
C'est ainsi que Daniel Radcliffe, surnommé Manny, devient la bouée de sauvetage d'Hank (hirsute et suicidaire Paul Dano). Et le vivant qui ne voulait plus l'être simule la vie du mort pour rester en vie. Une amitié fantasmée se crée. Convaincre un mort que la vie est belle ! Drôle de challenge.
Le ton est donné des les premières images où l'on rigole de tout ce désespoir. Puis les choses s'engagent et on s'étonne de ce à quoi on est en train d'assister. On croit comprendre mais on est à la merci des "Daniels", sans le savoir. On en rigole car l'absurdité efface petit à petit le côté sordide. On ne voit que ce que les réalisateurs nous proposent, sans en connaître les causes. Le film est à la mesure de la solitude d'Hank et nous ne voyons le monde qu'à travers celle-ci, cette "surface" dont je parle au début de ma critique.
Et c'est en cela que toute la force du film réside. Car si l'aventure de nos deux compères est suffisamment originale et rythmée pour emporter l'adhésion, il faudra attendre son dénouement pour cette deuxième lecture surprenante qui nous attirera par le fond, vers les abysses de l'âme, là où la lumière n'arrive pas. Il fallait bien que tout ce côté malsain nous revienne en pleine figure.
Le film prend alors une toute autre dimension même si on savait déjà qu'une partie (celle en décomposition) se jouait dans la tête d'Hank. Et tout ne devient finalement qu'une question de point de vue, de perspective, de regard de l'autre, pour le meilleur mais bien sûr pour le pire.
Daniel Scheinert et Dan Kwan ont su rendre touchant ceux qui d'habitude nous inquiète et ils l'ont fait avec originalité dans ce Swiss Army Moovie farfelue à la conclusion lyrique.
"Aucun homme n'est une île, complet en soi-même ; chaque être humain est une partie du continent, une partie du tout", à ses risques et périls.