Lors d'une scène de poker nocturne et enfumé, Sympathie pour le diable balaie d'emblée ce qui pourrait faire l'objet d'un biopic trop lisse, et évite donc le passage obligé ; oui, les reporters de guerre, malgré leur devoir de témoignage, leur tentative d'objectivité, surfent sur les conflits et font de la mort, d'une certaine façon, leur fond de commerce.
Ne nous embêtons pas avec ces considérations, importantes certes, qui méritent débat en effet, mais préférons plonger avec notre héros, Paul Marchand, dont l'allure, le style, solidement interprété par le toujours bon Niels Schneider, en font un véritable héros de cinéma.
Les premières minutes du film sont une boule de tension et d'immersion dans le chaos, la guerre, mais vue depuis un point de vue distancié et très souvent ironique, qui donne à Sympathie pour le diable l'allure d'un film de guerre calibré et très fort (un budget réduit mais qui propose une immersion et reconstitution impressionnantes de cet absurde conflit). Le recul et la nonchalance de son héros donnent à cette œuvre, pendant toute sa première partie, une irrévérence macabre et mordante qui n'est jamais pour déplaire, n'oubliant jamais, malgré son humour, de montrer l'horreur et la gratuité du siège de Sarajevo, la gratuité des morts civiles, le silence et l'inaction de la communauté internationale.
Le style, avec sa caméra portée, format carré et son image salie et terne, permet une plongée directe et efficace dans les masses grouillantes et hurlantes (joli travail sonore, les bombes explosant aléatoirement en arrière-plan durant tout le film), dans ce chaos caustique et absurde, dans lequel les journalistes sont des acteurs de premier plan, allant où bon leur semble, se faufilant partout, risquant leur vie, et pourtant témoins désarmés d'atrocités et d'injustices, comme des hommes et des femmes qui voient de l'intérieur, tout en restant toujours à l'extérieur. A l'extérieur d'une guerre où l'on enlève les lunettes de ses fusils pour ne plus voir l'horreur.
La petite routine des reporters prend, s'installe, mais peine pourtant, dans une seconde partie plus répétitive, à véritablement décoller. Le film se lisse alors et perd de son impertinence lorsqu'il décide finalement de faire des journalistes des acteurs de l'intérieur, des hommes et des femmes ici pour un but, ici pour dénoncer, ici pour sauver des vies, jamais pour se mettre en avant. La démonstration devient finalement plus facile, plus habituelle, et le film perd alors son rythme et son ton presque sardonique pour se clore sur un hommage attendu et décevant au métier de journaliste et au personnage original qu'était Paul Marchand, avec des minutes finales bien fière d'elles-mêmes.
On retiendra pourtant ce Sympathie pour le diable pour sa mise en scène scotchante, son irrévérence et son immersion chaotique, un premier film culotté et puissant qui promet une carrière intéressante à son réalisateur Guillaume de Fontenay.