«Syndromes and a Century» est une œuvre monumentale par bien des aspects. Elle présente une structure binaire, deux tableaux de même construction illustrant la même intrigue sous une forme différente. « Ici, la première moitié est pour ma mère, la seconde pour mon père. On peut dire aussi que la première partie recrée l'enfance et la seconde ma vision adulte. » avança Apichatpong Weerasethakul pour Le Monde lors de la sortie du film. Les deux tableaux s'articulent autour de l'existence de ses personnages, de leurs rêves et de leurs sentiments en deux lieux différents.

La première partie, se déroulant dans un hôpital de campagne plutôt bien géré, immerge l'intrigue au sein d'une nature envoûtante, presque hégémonique, à l'image de cette orchidée sauvage que le botaniste de la jeune Toey prend en charge dans sa plantation - son hôpital personnel -. L’œuvre s'ouvre sur un entretien entre Toey et un nouveau médecin, Nohong. Les questions relèvent plus de la spiritualité que de la véritable capacité médicale. Il faut choisir entre le cercle, le triangle et le carré, mais aussi entre la peinture, le crayon ou le pastel, question à laquelle répondra Nohong par un franc « crayon», technique qui semble plus crue, plus proche de cette nature qui les entoure. Cette question ne sera pas posée lors du même entretien en ville. De même, la notion de mort semble être bannie du vocabulaire au profit de la réincarnation ou du silence. Ainsi, durant l'entretien l'on apprend que Nohong a eu un chat – animal d'une grande noblesse et d'une infinie spiritualité – mais aucune question ne vient bouleverser cette image de l'animal sacré à propos de l'emploi du passé composé.

S'ensuit le générique d'ouverture, placé sous le signe du spectacle avoué, avec ce micro que l'on a pas débranché et ce «coupez» émanant d'un membre de l'équipe de tournage. Cette ouverture – à la fois physique et morale donc – s'adresse directement au spectateur comme le regard de cette vieille femme dans la seconde partie, en écho au générique. Le spectateur ne peut donc, à partir de ces premières minutes, conserver un statut passif. Il se révèle presque être un énième personnage officieux de l'histoire, qui devra vêtir dans le deuxième temps un nouveau costume, à l'égal de ses collègues officiels.

Ce sont bel et bien les relations entre les protagonistes qui dénoncent le mieux un saut dans le temps et dans l'espace. Si dans la première partie, les couples sont rapprochés de manière terriblement humaine – le soin entre le dentiste et le jeune moine les place dans la sphère de l'intime – le changement de décor et de temporalité brise ces affinités et prône un environnement de solitude, de pudeur et de retenue.

«Syndromes and a Century» plonge tour à tour ses personnages en plein lumière, sous un grand soleil ou sous les néons blancs des couloirs aseptisés. Ils sont réincarnés dans des lieux qu'ils semblaient éviter dans la première partie, où les arbres et les éclipses de soleil sont remplacés par les plafonds de tuyauteries et un système de ventilation semblable à un trou noir aspirant la vie. C'est une œuvre incroyablement maîtrisée sur le plan esthétique – cadrages, photographies et autres compositions - qui semble pouvoir faire tenir en moins de deux heure des vies toutes entières sans les aplanir mais en leur redonnant une nouvelle dimension.
Pointofview
10
Écrit par

Créée

le 8 avr. 2013

Critique lue 698 fois

13 j'aime

4 commentaires

Pointofview

Écrit par

Critique lue 698 fois

13
4

D'autres avis sur Syndromes and a Century

Syndromes and a Century
Pointofview
10

Syndromes and a Century [Spoilers]

«Syndromes and a Century» est une œuvre monumentale par bien des aspects. Elle présente une structure binaire, deux tableaux de même construction illustrant la même intrigue sous une forme...

le 8 avr. 2013

13 j'aime

4

Syndromes and a Century
Vivienn
10

Modern Times

L’une des assertions les plus souvent présentées lorsque l’on évoque Syndromes and a Century, c’est que son réalisateur, le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, l’a écrit en s’inspirant de ses...

le 10 sept. 2015

10 j'aime

Syndromes and a Century
Satané
6

Une expérience laissant indécis

Oui. Ukhbar a écrit l'une des plus belles critiques du site en parlant de cette oeuvre, cette dernière ne pouvait pas mériter mieux. Seulement, je n'y ai pas perçu tout ce qu'il a pu ressentir au...

le 23 mai 2012

9 j'aime

5

Du même critique

Holy Motors
Pointofview
10

“Pour faire un film il faut la santé, de l'argent et deux-trois personnes au moins.”

La mort du cinéma ? Nombreuses ont été les interprétations du film portées sur une vision de la mort du cinéma, telle qu'elle est et a été annoncée à maintes reprises lors des multiples mutations...

le 17 mai 2013

18 j'aime

4

M le maudit
Pointofview
10

M le Maudit [Spoilers]

'' Attends, attends, un petit instant – le méchant tueur vient à son heure – il fera un gâchis – il fera du hachis de toi ! '' Cette courte comptine inventée par les enfants en dit long sur le statut...

le 28 janv. 2013

17 j'aime

7

Top of the Lake
Pointofview
9

Top of the Lake [Spoilers]

Élisabeth Moss est à ''Top of the Lake'' ce que Jodie Foster est au ''Silence des Agneaux''. Profondément blessée dans son enfance, le personnage de Robin Griffin comme celui de Clarice Starling...

le 30 mai 2013

15 j'aime