L’une des assertions les plus souvent présentées lorsque l’on évoque Syndromes and a Century, c’est que son réalisateur, le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, l’a écrit en s’inspirant de ses propres parents, tous deux médecins. Ce n’est pas vraiment une surprise quand on sait la place prépondérante qu'occupe le milieu hospitalier dans ses films, mais on ne peut pourtant pas non plus avancer qu’il s’agisse du point central de son troisième long-métrage de fiction.
Si Syndromes and a Century apparaît d’emblée comme moins cryptique que les précédentes réalisations de Joe, il n’en est pas pour autant évident. Le thaïlandais aime aborder de nombreux thèmes, dans un mélange de méditation, de critique sociale et de mélodrame, parfois un peu difficile à déchiffrer tant la vitalité qui transpire de son cinéma ne se peut se limiter à une simple lecture sémantique.
Il y a, comme dans Blissfully Yours et dans Tropical Malady, deux actes bien distincts. Un premier prenant place dans un hôpital de campagne du XXème siècle, un deuxième dans une clinique à l’univers froid et désincarné, située en plein centre d’une ville moderne. Difficile de ne pas voir dans cette substitution de la jungle sauvage par la jungle urbaine une constatation tragique du cours du monde. On sait Joe très attaché aux traditions, à la nature et au rapport qui la lie à l’homme – la césure au cœur de Syndromes and a Century marque la fuite de cette passion, faisant désormais partie d’un passé progressivement oublié et imprimé comme un rêve qu’on se remémore par fragments.
Il y a cette idée de la perte de la spiritualité, de la perte des liens humains et de la beauté – selon une logique cyclique étonnement fataliste, on retrouve le Joe nostalgique de Tropical Malady. Pourtant, il n’est pas juge, il n’est même jamais réellement critique envers cette nouvelle ère – on peut même trouver une certaine poésie dans l’évolution quotidienne de ces docteurs et de ces patients déshumanisés. Au point que, dans les dernières minutes, une lueur d’espoir apparaît : entre les gratte-ciels étouffants et les lumières aux néons se cache un parc verdoyant, un petit ilot de paradis aussi improbable qu’imparfait, refuge de l’homme-nature qui, loin de l’agitation citadine, pourrait peut-être recréer le monde à sa façon.
Dans une démarche à hauteur d’homme, Joe se détourne l’espace d’un film de ses chamans métamorphes et de ses fantômes-gorilles. Syndromes and a Century est une peinture sociale mélancolique bouleversante, le récit d’une romance imprévisible et une ode passionnée à l’humanité. Alternant les climats et les ambiances, passant du giron verdoyant de campagnes abandonnées à l’univers chirurgical et claustrophobe de la métropole contemporaine, le cinéaste n’abandonne jamais son onirisme et son charme ; lui qui sait sublimer ses amours comme ses haines.