Éric Tabarly n'aimait pas les mots de trop.
À l'image de ce film, je vais tâcher de rester synthétique.
Tabarly. Un nom d'outre-tombe. Un souvenir qui sent bon l'embrun et les archives télévisuelles de l'INA. Une vieille histoire d'une autre époque.
Il était une force de la nature, sculptée depuis la matière brute des plates-formes de ses bateaux. L'effort à répétition, d'abord sur les chantiers et ensuite dans les courses folles avait développé sa silhouette impérieuse. Ses larges épaules, hypertrophiées à force de hisser les voiles plus haut que tout le monde, portaient ses navires au-dessus des vagues.
De se coffre insondable, ne s'échappaient que de rares paroles. Pourquoi l'ouvrir si le moment ne le mérite pas ? Les journalistes, toujours en quête de déclarations-vérités, demeurèrent perplexes devant la dualité d'un homme conquérant sur l'eau mais impitoyablement taiseux à terre.
Éric Tabarly n'en avait cure. Il préservait ses mots. Il les soupesaient avant chaque prise d'air. Pourtant son sourire malicieux, tellement doux et modeste, niché au cœur de cette masse de roc dur, paraissait répandre la tendresse sans retenue.
Ce film a capturé ses lâchers-prises. Les seuls moments ou rompre le silence en valait vraiment la peine. Tabarly se raconte tout seul, il n'a besoin de personne, et les quelques gens qui l'ont côtoyé complètent l'ébauche du récit de sa vie. C'est encore Kersauson, son fidèle apprenti, qui en dresse un portrait si simple et si vrai, en quelques syllabes, dans Ocean's songs:
Éric n'a jamais été inférieur à son destin. C'était mon maître.
Et puis un jour, Tabarly s'est éclipsé. Il a quitté les pays pour se domicilier au large. Il rejoignit son royaume.
Mais il n'est pas mort, oh que non. Ces gens-là sont trop précieux pour s'étioler dans le flou du ciel. Il n'a juste plus besoin de poser le pied sur notre terre, et ses escales se feront désormais sur les atolls inaccessibles.
Je sais qu'un Pen Duick vogue encore à l'horizon, en ce moment, sur toutes les mers du monde, invisible à notre perception, où il continue de tisser des liens ténus mais puissants entre l'Homme et l'océan.