Critique reposant sur de nombreux éléments essentiels de l'intrigue qui risque de vous gâcher la découverte du film.
De la scène sur la plage, il est à retenir un élément essentiel : Tant qu'il y aura des hommes, drame romantique se situant juste avant Pearl Harbor, ne présentera aucune conclusion joyeuse pour ses personnages (quels qu'ils soient), tout comme l'eau qui va et vient sur le sable empoigne et éloigne du rivage les souvenirs heureux de ses deux amants, magnifiques Burt Lancaster et Deborah Kerr, amoureux profitant d'un moment idyllique qui, ils le savent pertinemment mais se le cachent, ne durera qu'un temps.
A l'image du très réussi High Noon sorti un an plus tôt, From Here to Eternity présente les déchus de sa petite Histoire, de bonnes âmes que les têtes hautes, importantes, aisées de la nation auront conduits, directement ou non, au massacre, voire au sacrifice. Frank Sinatra, Montgomery Clift, tous deux morts du fait des directives d'en haut : l'un, grande gueule, pour avoir tenté de jouer les importants, l'autre vengeur, tué au nom de l'amour et de l'honneur.
C'est aussi cela qui perturbe dans le cinéma de Zinneman : les protagonistes meurent parce qu'ils n'ont qu'une parole, parce qu'ils sont honorables et subissent l'injustice d'être jugés par des lâches, des malhonnêtes, simplement par des hommes primaires et vicieux. Le rôle du Sergent Judson, sadique remettant dans le droit chemin du camp de discipline, est revenu à l'imposant Ernest Borgnine, répugnant tortionnaire qui ne fait régner que souffrance et injustice.
On sentait déjà avec Le train sifflera trois fois que Zinneman ne supportait pas les élites, et que l'Histoire de l'Amérique s'écrivait, selon lui, au sang versé des hommes de bien pour les péchés des autres, plus lâches, plus insidieux, sans pour autant qu'ils périssent; Tant qu'il y aura des hommes passe à l'étape suivante en faisant mourir une partie de ses personnages, ou en détruisant la destinée commune des survivants : un homme abattu par ses pairs, l'autre décédé parce qu'il tentait de retrouver ses amis; une femme obligée de retourner d'où elle vient par la faute du jugement social, face à son amant qui épouse l'amour de sa vie, l'armée, et laisse voguer celui de coeur, Deborah Kerr.
Il faut, pour se trouver, se perdre un peu et chercher les limites des autres : comme le déroule si bien la scène de la plage, Lancaster et Kerr, qui se cherchent jusqu'à se trouver en un baiser grandiose, ne pourront s'aimer qu'en secret, ou ne s'aimeront pas du tout. Quand avance l'intrigue et que leurs situations respectives évoluent, on comprend dès le départ que cette relation ne donnera rien d'autre qu'une idylle passagère et magnifiée, que n'aurait pas renié un certain La La Land.
Malgré la certitude que tout cela se finira mal, on suit cette critique de l'Amérique moderne avec une curiosité certaine, passant outre quelques astuces de scénario ainsi qu'une mise en scène d'un grand classicisme, bien plus académique et moins inspirée que ce qu'on avait pu avoir avec Le train sifflera trois fois. Très plan-plan, Tant qu'il y aura des hommes satisfait par sa forme parce qu'il sait tout de même rendre justice à ses personnages en les présentant tous sous leur meilleur jour, en témoignent ces scènes désinvoltes de rencontre avec le tragique Montgomery Clift et la touchante Donna Reed, qui mènent une relation oui-non des plus attendrissantes.
Tout cela, on le comprend finalement, pour que la petite Histoire épouse la grande, et que les destins se bouclent ou renaissent après l'attaque japonaise de Pearl Harbor, rondement menée sur le camp d'entraînement, il faut que la petite s'étiole, s'affaisse. Et si l'on pouvait s'attendre à la fin, il n'empêche que cette conclusion, déjà annonciatrice de la tristesse finale des prochains films de guerre humanistes (notamment le très beau Week-end à Zuydcoote), envoi un grand coup de poing en plein visage du spectateur avec la finesse d'un dernier plan maîtrisé à la symbolique forte, duquel on peut retenir, c'est certain, un espoir plaisant pour la suite des évènements.
Une bien belle oeuvre.