Une femme moderne intégrée à un univers qui aurait parfaitement pu être celui d'une production viscontinienne, et dont l'ensemble du métrage rappelle des bribes de la filmographie du cinéaste italien, tel est le filon capital de Tár, oeuvre d'apparence tardive décelant des pistes évocatrices et taries d'éloges.
Tantôt empathique, tantôt (et surtout) impitoyable, Lydia Tár, cheffe d'orchestre de renommée, déconstruit sous nos yeux sa propre vie en un opéra filmé de près de trois heures où aléas artistiques et dégâts d'ordre privé se confondent. Sous une autre allure, celle du faux-biopic, ce sont les dérives et les blessures d'une femme, au-delà de son talent, en témoigne cette affiche la captant en contre-plongée. Autant d'hybridations par ailleurs qui nous passent par la tête, et ce sans jamais que les influences de Todd Field ne prennent le pas sur celle qu'il tentera de produire.
C'est par ailleurs autour des répétitions de la Ve Symphonie de Malher et son Adagietto apaisé, portant l'intrigue dans la plus pure complexité, qu'est rythmé le film, et ils sont ici arrangés sublimement par Hildur Guonadóttir au sommet de son art trois ans après avoir signé Joker !
Tout en n'hésitant pas au passage à envoyer un beau pied-de-nez à la tare que constitue la bien-pensance progressiste de notre temps au prisme d'une scène de répétition entre Lydia et un ses élèves aux préjugés délirants, cette production d'une élégance rare brille par la pluralité des sentiments qu'elle développe, au fil des dialogues superbement rythmés entre elle, Nina Hoss et Noémie Merlant dont l'ambiguïté est aussi la richesse de ces relations.
L'une des grandes richesses de ce film est la manière dont il brosse minutieusement le portrait d'une héroïne que tout le monde et tout, du jour au lendemain, se met à décomposer : le délaissement auprès de sa fille et de sa compagne, le suicide successif de l'ancienne amante et de l'adjointe, autant d'abandons de grés ou de force dignes d'une tragédie grecque amorçant la perte de repères chez Lydia. Rapprochement immédiat avec certains épisodes des plus sombres vécus par tout un chacun, surtout lorsque celle-ci s'en trouve réduite à se réfugier chez son père à revoir les images de son passé.
Incontestable réussite pour Tár qui parvient de manier avec brio odyssée tragique, descente aux enfers baroque et opéra sanglant, nous rappelant qu'on tombe de haut lorque l'on est convaincu qu'on n'atteindra (plus) jamais le bas. Trois oxymores répondant chacune à tout l'art sur lequel Todd Field se repose : la contradiction.