TÁR
6.7
TÁR

Film de Todd Field (2022)

Une femme moderne intégrée à un univers qui aurait parfaitement pu être celui d'une production viscontinienne, et dont l'ensemble du métrage rappelle des bribes de la filmographie du cinéaste italien, tel est le filon capital de Tár, oeuvre d'apparence tardive décelant des pistes évocatrices et taries d'éloges.

Tantôt empathique, tantôt (et surtout) impitoyable, Lydia Tár, cheffe d'orchestre de renommée, déconstruit sous nos yeux sa propre vie en un opéra filmé de près de trois heures où aléas artistiques et dégâts d'ordre privé se confondent. Sous une autre allure, celle du faux-biopic, ce sont les dérives et les blessures d'une femme, au-delà de son talent, en témoigne cette affiche la captant en contre-plongée. Autant d'hybridations par ailleurs qui nous passent par la tête, et ce sans jamais que les influences de Todd Field ne prennent le pas sur celle qu'il tentera de produire.

C'est par ailleurs autour des répétitions de la Ve Symphonie de Malher et son Adagietto apaisé, portant l'intrigue dans la plus pure complexité, qu'est rythmé le film, et ils sont ici arrangés sublimement par Hildur Guonadóttir au sommet de son art trois ans après avoir signé Joker !

Tout en n'hésitant pas au passage à envoyer un beau pied-de-nez à la tare que constitue la bien-pensance progressiste de notre temps au prisme d'une scène de répétition entre Lydia et un ses élèves aux préjugés délirants, cette production d'une élégance rare brille par la pluralité des sentiments qu'elle développe, au fil des dialogues superbement rythmés entre elle, Nina Hoss et Noémie Merlant dont l'ambiguïté est aussi la richesse de ces relations.

L'une des grandes richesses de ce film est la manière dont il brosse minutieusement le portrait d'une héroïne que tout le monde et tout, du jour au lendemain, se met à décomposer : le délaissement auprès de sa fille et de sa compagne, le suicide successif de l'ancienne amante et de l'adjointe, autant d'abandons de grés ou de force dignes d'une tragédie grecque amorçant la perte de repères chez Lydia. Rapprochement immédiat avec certains épisodes des plus sombres vécus par tout un chacun, surtout lorsque celle-ci s'en trouve réduite à se réfugier chez son père à revoir les images de son passé.

Incontestable réussite pour Tár qui parvient de manier avec brio odyssée tragique, descente aux enfers baroque et opéra sanglant, nous rappelant qu'on tombe de haut lorque l'on est convaincu qu'on n'atteindra (plus) jamais le bas. Trois oxymores répondant chacune à tout l'art sur lequel Todd Field se repose : la contradiction.

Créée

le 18 févr. 2023

Critique lue 230 fois

16 j'aime

16 commentaires

Critique lue 230 fois

16
16

D'autres avis sur TÁR

TÁR
JorikVesperhaven
4

Tartare d'auteur.

Si ce n’est une Cate Blanchett au-delà de toute critique et encore une fois impressionnante et monstrueuse de talent - en somme parfaite - c’est peu dire que ce film très attendu et prétendant à de...

le 27 oct. 2022

90 j'aime

12

TÁR
Plume231
7

Bas les masques !

Il y a une séquence dans ce film qui pulvérise avec brio toute la connerie de la "cancel culture" et des cerveaux lavés qui veulent l'imposer, au cours d'un échange durant lequel le personnage...

le 25 janv. 2023

69 j'aime

17

TÁR
jaklin
8

L'exception inacceptable

Autrefois, on se donnait des frissons avec la peur du grand méchant loup, qui repose sur un mythe puisque les loups n’attaquent pas l’homme, ou celle des sorcières, elles aussi sorties de l’esprit...

le 4 févr. 2023

44 j'aime

76

Du même critique

Benedetta
Angeldelinfierno
9

Scatholicisme

Le daron le plus néerlandais du cinéma français voit sa prestigieuse fin de carrière suivre sa lancée avec cette très intrigante adaptation biographique de l'abbesse Benedetta Carlini (Virginie...

le 27 juil. 2021

37 j'aime

3

BAC Nord
Angeldelinfierno
9

Flics et voyous

Aisément considéré comme un des favoris du nouveau « cinéma vérité » français, le nouveau long-métrage de Cédric Jimenez, revenant après avoir joué les Friedkin avec son polar La French (2014), puis...

le 14 sept. 2021

36 j'aime

22