Le second film des frères Boukherma était présenté à l’Étrange Festival, après sa sélection aux festivals de Deauville et Cannes (en sélection officielle 2020). Prévu pour le 13 janvier 2021 dans les salles obscures, ce projet marquera inévitablement les esprits pour ses nombreuses qualités mais également les analyses pour sa place particulière dans le paysage français. Le long- métrage porté avec force par Anthony Bajon semble être la conclusion de l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes français, porteurs de films de genre décomplexés.
Mélange d’influences
Présenté hors-compétition dans un festival mettant en lumière « l’étrange », le film Teddy détonne et brille au-dessus du lot par un mélange de références et de registres réussis. Le principal piège évité par le métrage est sans aucun doute la cohérence du produit fini. Les scènes de vie quotidienne dans ce village des Pyrénées -offrant de terribles comiques de situation inspirés de l’oeuvre de Bruno Dumont- sont entrecoupées par la transformation du protagoniste en loup-garou sans aucune surenchère. La mise en scène de cette évolution n’est pas spectaculaire, tout comme le meurtre faisant guise d’introduction au film.
Cette recherche dans la simplicité du style est paradoxalement complexe à obtenir, mais accessible pour Ludovic et Zoran Boukherma: le parfait dosage teen movie/film d’épouvante propose la synthèse de références communes à toute une génération. Le cadre enfin posé, la créativité des réalisateurs peut exploser et jouer avec la simplicité du quotidien des français habitant un petit village. De cette normalité émerge un humour noir dansant avec l’absurde dans lequel le spectateur se contemple parfois lui-même, agissant de manière étonnante. En témoigne cette scène hilarante dans laquelle Rebecca décide de rompre avec Teddy, et brise son coeur en lui annonçant qu’elle a arrêté d’écouter du métal pour se mettre au rap et à PNL. La trahison paraît minime face à la gravité de la situation pour un adolescent sortant d’une première relation, mais rappelle avec justesse à quel point il est difficile de prendre du recul lorsque le changement nous est imposé.
Un nouveau cinéma français qui s’affirme
Le changement est au centre des psychologies. Cette oeuvre le montre à plusieurs niveaux. D’abord au sein des jeunes de ce village, qui se destinent à quitter le lycée pour étudier et vivre ailleurs. Mais surtout, au sein de Teddy, héros (du film) faisant le choix de rester auprès des siens et construire une maison avec pergola. Chez le jeune homme tourmenté, le changement se superpose à la transformation physique en loup-garou, faisant de lui le garçon doublement mal-aimé et rejeté de la communauté (parce qu’il est anticonformiste et rigole durant l’hymne national chanté le 8 mai, mais aussi parce que le loup-garou terrifie le village après une série de meurtres).
Cette idée déjà suffisante pour proposer un film de genre intéressant et dynamique semble être le symbole d’une peur française envers les films irréels. Face aux titans américains ayant profité en premier de gros budgets, aux Spielberg et Lucas faisant de leurs rêves des sagas cinématographiques, l’imaginaire cinématographique de l’enfance et du fantastique a été irrémédiablement bouleversé. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut s’attacher à ces références (comme le fait très maladroitement La dernière vie de Simon de Léo Karmann par exemple). Un cinéma de genre puisant dans les références de l’enfance est possible: Teddy en est la preuve. Comme l’expliquent les réalisateurs, avoir envie de légèreté et de puiser dans les références télévisées comme Les Contes de la crypte n’est pas une honte. Il peut tout aussi bien créer de nouvelles formes de cinéma, des alliages de genre curieux et audacieux.
En ce sens, nous pourrions même parler de la fin d’un mal-être français en rapprochant ce film de l’oeuvre de Julia Ducorneau: Grave. Bien que la comparaison n’ait pas lieu d’être sur le fond cinématographique (la similitude du protagoniste mangeant un morceau de chair humaine ne suffit pas à comparer les films), nous pouvons voir en ces deux projets portés par des jeunes réalisateurs, une envie d’explorer les possibilités du médium sans se préoccuper de l’imaginaire américain collant au fantastique ou au cannibalisme, et ça, ça fout la gaulle.