Ten se décline en un compte à rebours qui utilise ces images noir et blanc rondes, comme des pendules, que l'on peut apercevoir parfois au tout début d'une projection.
Une voiture en sera son unique espace, habité, investi en permanence par sa conductrice L'extérieur surexposé, à peine perceptible le jour renvoie une image dématérialisée, comme hantée par des silhouettes noires et floues. L'habitacle est gorgé des rayons du soleil et des ombres qui en découlent. La nuit, l'image devient abstraite, elle n'existe que par les phares qui caressent les visages, dans un très subtil jeu d'apparitions et de disparitions. Cette femme, dont le beau visage quasi omniprésent ne se départit jamais de son sourire, finit par devenir hypnotique et le fait qu'elle conduit jour et nuit questionne, sans qu'aucune explication ne soit exprimée. La caméra, alternant les visages, ou laissant parfois un personnage exister uniquement par sa voix, scrutera également les expressions des personnages, comme pour en extirper une vérité . Le film est donc une suite de duos bavards, et il y a à dire. Conflits de génération, société étouffante, patriarcale, histoires de famille compliquées, omniprésence de la religion, prostitution opposée à la vie en couple (« La vie est un commerce »), le monde et ses malheurs sociaux défile dans la voiture comme chez un psychologue. Les personnages s'opposent souvent, les conversations ébranlent parfois leurs convictions, mais ils peuvent également échanger des pensées philosophiques, des confessions sur leur doute face à la foi ou tenir des propos intimes. Le parler est cru, frontal, libéré.
Avec Ten, Abbas Kiarostami radicalise son cinéma, aidé en cela par l'usage d'une petite caméra numérique. Ce road movie circonscrit aux rues enchevêtrées de la ville se termine étonnamment sur l'air de « Walking in the air » de Howard Blake, joué sobrement au piano et qui est par ailleurs la chanson du film culte d'animation « Le bonhomme de neige » de Dianne Jackson (1982). Comme une invitation à s'échapper de l'asphalte.

abel79
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le 25 juil. 2021

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