Qu’est-ce qu’une bonne suite au cinéma ? Est-ce tout simplement une continuité du premier film, la seconde partie d’un tout, dans la même lignée visuelle et narrative comme Les Deux Tours ? Est-ce une version revisitée et une mise à jour du long-métrage originel, à l’instar d’Evil Dead 2 ? Ou le développement sur un plan plus large et ambitieux du potentiel inauguré dans le premier film, comme Retour vers le Futur 2 ou encore L’Empire contre-Attaque ?
Dans ces cas de figure que sont les bonnes suites sur grand écran, Terminator 2 - Le Jugement Dernier de James Cameron fait figure à la fois de cas d‘école, de modèle, mais aussi d’exception de par sa réussite, qui est totale.
Produit par Carolco Pictures et ayant coûté la modique somme de 102 millions de dollars (soit le plus gros budget de l’époque, mais bon, connaissant Cameron, on y est habitué), Terminator 2 : Le Jugement Dernier, c’est le film de tous les records au moment de sa sortie en 1991. De la même manière que Titanic 6 ans plus tard et Avatar le millénaire suivant, c’est le film qui va pousser à bout le système hollywoodien d’alors. Que ce soit par ses coûts faramineux, la nécessité de conception d’effets visuels révolutionnaires pour coller le plus possible à la vision de son créateur, ainsi que la mise en scène unique de ce dernier, T-2 (pour les intimes) va redéfinir les canons du film d’action de l’époque, le tout sous la pression d’un homme désirant une fois de plus repousser les limites technologiques du cinéma et la notion d’immersion dans un film.
Terminator 2 commence par une scène pré-générique annonçant le destin funeste de l’humanité, d’abord au travers d’une vision mélancolique montrant des enfants s’amuser dans un parc à jeux, puis ensuite dans celle du futur tant redouté, une autre vision, ici terrifiante, spectaculaire et brillamment mise en scène. Par un plan séquence impactant des plus efficaces illustrant le calme avant la tempête, on bascule alors dans la fresque post-apocalyptique avant que le générique ne se lance. Sous la musique devenue culte depuis de Brad Fiedel, les balançoires brûlent, les flammes sont partout, le chaos est déjà passé, mais les frissons restent. On s’aperçoit déjà de quelque chose concernant la bande originale : ces notes éparses au synthétiseur qui avaient contribué au charme du premier opus se transforment en une composition plus travaillée, plus épique et plus classique même, sans pour autant se séparer de son atmosphère originale empreinte à la fois de tristesse et d’espoir.
Par ce générique loin de la sobriété de celui du film de 1984, on comprend que la modeste série B qu’était Terminator mûrit et devient le grand spectacle que sera Le Jugement Dernier.
Car oui, Terminator 2 est en plus d’une suite une fresque aux moyens désormais colossaux, et Cameron va s’amuser comme un petit fou à démanteler les séquences clés de son premier film, dont la structure est globalement la même que ce second opus, non seulement en faisant évoluer ses personnages mais également en réadaptant par ici et par là certaines scènes de Terminator (le T-1000 qui essaie de piéger John Connor au téléphone, la poursuite en camion...) comme s’il mettait à jour son premier fait d’armes.
Terminator 2 va donc déconstruire son aîné sans pour autant altérer la cohérence de l’univers mis en place et l’importance de ce qui est hors-champs (ce que n’arriveront pas à faire les foutraques Genisys et Dark Fate des années plus tard), le film se voulant plus dense dans ce qu’il raconte et faisant passer la franchise dans un autre plan, renforçant la dimension mythologique de la saga naissante.
Le Terminator de 1984 était rugueux, crade et glauque, T-2 est comme recouvert de chrome, et baigne dans une ambiance moins sombre que son aîné malgré le lourd propos du film. Terminator était une modeste série B jouant avec les codes du film noir et du thriller, Le Jugement Dernier est explosif, spectaculaire, et nous offre des séquences d’action mémorables desservies par des effets spéciaux qui montrent le bond en avant technologique qui a été fait depuis. Que ce soit l’exploitation à son plein potentiel du morphing (qui a évolué depuis Willow, il faut le dire) pour les besoins entourant les particularités liquides du T-1000, ou l’utilisation des images de synthèse, encore balbutiantes, couplée à des effets plus «organiques» et une chorégraphie de qualité pour les cascades et les séquences de guerre ou d’action, force est de constater qu’au final Terminator 2 tient encore la route aujourd’hui et vieilli même mieux que des productions plus récentes. Par le biais de la mise en scène impliquée de Cameron et sa volonté d’immerger de plus en plus le public dans un grand spectacle, Le Jugement Dernier reste, et ce même 25 ans après, plus impressionnant par exemple que son (maudit) rejeton Terminator Genisys.
Mais cantonner Terminator 2 au simple divertissement bourrin typique des productions du genre made in Hollywood de l’époque serait une erreur, car une fois encore, Cameron, qui maîtrise le langage cinématographique et profite à fond des possibilités de ce matériau, sait filmer l’humain derrière le déluge d’effets visuels et les prouesses technologiques.
On assiste à une véritable métamorphose du personnage de Sarah Connor, interprétée pour la seconde fois par une Linda Hamilton investie physiquement et émotionnellement comme jamais, sûrement dans son rôle le plus marquant à ce jour. Cameron en profite pour livrer une fois de plus un nouveau portrait de femme dont il avait fait l’ébauche dans le premier film, une femme forte et indépendante, mais qui a quand même ses fêlures et qui, derrière son engagement à la limite de la foi aveugle pour le futur de la race humaine, reste avant tout une mère, culpabilisant d’avoir jeté ces immenses responsabilités sur les épaules de son enfant. Enfant d’ailleurs incarné superbement par Edward Furlong, abîmé par la vie et la perspective de cet avenir placé sous le signe de la désolation et de la mort. Croulant sous cette immense responsabilité que lui aura imposé par nécessité sa mère et le futur, le personnage joué par Furlong dessine avec brio les contours d’un adolescent en manque de figure paternelle qui aura sacrifié son enfance pour épouser un destin trop grand pour un seul homme.
Mais dans la déconstruction du mythe Terminator de 1984, il y a un aspect que l’on ne peut passer sous silence : la métamorphose d’Arnold Schwarzennegger, l’antagoniste iconique du premier film et Boogeyman des temps modernes, en protecteur acharné d’un enfant et possible sauveur d’une humanité toujours prête à s’autodétruire.
Iconisé comme jamais il n’aura été iconisé dans toute sa carrière (aussi bien avant qu’après Terminator 2, et ce même dans les suites de la saga), Schwarzy, pour qui le pic physique et athlétique est derrière lui (mais qui n’a tout de même pas à rougir oh que non), trouve ici son rôle le plus marquant, et sa mutation de figure menaçante et meurtrière venue du futur en ultime rempart entre le T-1000 et sa cible (et par extension entre l’humanité et son destin) d’aura pas entaché malgré les premières réticences de l'acteur le caractère mythique du personnage, bien au contraire.
Tout le talent de Cameron ici a été d’amener le spectateur à ressentir de l’empathie pour ce même méchant emblématique du premier opus qui avait pour mission de tuer ceux qu’il a aujourd’hui pour tâche de protéger au péril de son existence. Machine létale recouverte de chair et de sang mais en même temps substitut paternel pour John Connor, Schwarzy expose une nouvelle vision du Terminator, ici en plein apprentissage d’une humanité qui semble perdue à l’échelle du monde. Il traverse le film, telle une machine qui assimile à la manière d’un enfant l’importance de la vie humaine, face à une réelle humanité désenchantée, dirigée par des puissants obsédés par la quête du progrès et la course à l’armement, et dont le mot d’ordre, avant le vivre-ensemble, semble être la guerre et la domination de son prochain.
Face à ce cyborg se tournant du côté du bien, c’est Robert Patrick qui aura la lourde tâche de se présenter en grand méchant de Terminator 2 et qui livrera ici sa performance la plus connue, celle du T-1000, un être au regard glacial, aussi létal qu’inventif derrière sa plastique plus humaine que celle du Chêne Autrichien, et qui éclipsera malheureusement sa carrière toute entière.
Cameron montre une fois de plus qu’il est non seulement un habile architecte dans l’art de nous offrir la claque visuelle habituelle à chacune de ses productions, mais également un maître dans celui de faire vibrer son public et lui procurer des émotions intenses. Outre son sens du suspense et la facilité déconcertante du cinéaste à créer des moments de tension mémorables qui faisaient déjà partie de la patte du premier Terminator, avec cette tendance à rendre l’antagoniste encore plus increvable qu’il ne l’est et cette volonté de toujours atteindre le point de non-retour dans la progression d’une séquence d’action, la fin de T-2 sera de celle qui laisse une empreinte indélébile sur la rétine du spectateur. Percutante et à la limite du tragique, sous un thème musical au caractère sombre et inéluctable, cette conclusion possède pourtant sa frêle lueur d’espoir, Cameron restant, derrière l’univers sombre qu’il a imaginé, un éternel optimiste croyant dur comme fer à la sincérité de son message et restant persuadé de la possible résilience d'une humanité égarée.
Un message qui sera à mon sens moins saisissant et plus édulcoré avec la Sky-net Edition de 2009, qui proposait une fin alternative (et entre autres une scène assez gênante où John Connor apprenait à sourire au Terminator) diminuant l’impact de la version de base.
Car si une machine, le Terminator, peut comprendre la valeur d’une vie humaine, peut-être le pouvons nous aussi.
Par cette citation de Sarah Connor concluant le long métrage, les perspectives, au premier abord simplistes pour un public devenu plus cynique aujourd’hui mais demeurant pourtant universelles, que sont celles d’un monde meilleur et d’une humanité retrouvée ne sont donc peut-être pas garanties à la fin de Terminator 2, mais le champ des possibles reste entrouvert.
Terminator 2 est donc, dans tous les sens du terme, un sommet. C’est le sommet d’un réalisateur utilisant les outils de la machinerie hollywoodienne à son avantage pour livrer un divertissement spectaculaire et généreux, qui ne prend jamais son public pour un con et qui surtout n’oublie pas l’humain derrière le déluge d’effets spéciaux. T-2, C’est le pinacle d’un acteur qui est la personnification même du rêve américain et qui ne retrouvera jamais par la suite un rôle aussi marquant, et ce même en reprenant du service pour les suites de cette franchise qui l’aura élevé à des sommets. Terminator 2, c’est aussi le sommet (arrivé trop tôt ?) d’une saga devenue légendaire en à peine deux films, dont la qualité ne fera que décroître après cela, qui oublieront l’émotion derrière l’action, se complaisant dans un divertissement qui sera vite oublié. Terminator 2 c’est en soi le deuil prématuré d’une des plus grandes icônes du cinéma de science-fiction. Terminator 2 est aussi et ce en même temps le sommet indépassable et l’architecte de l’obsolescence des action movies des années 1980, le testament de cette ère placée sous le signe de la testostérone et une forme de naïveté bienveillante qui commence à dépérir (son symbolisme sera plus percutant à mon sens que le Last Action Hero de McTiernan, qui sortira 2 ans plus tard), la transition et l’alliage parfait du cinéma organique d’alors et de celui, numérique, qui éclot et qui modifiera le système hollywoodien, pour le meilleur comme pour le pire. Terminator 2, c’est la réponse à la question vue en introduction, car il remplit toutes les cases de ce que peut être une bonne suite, mais également tout ce qui caractérise une suite meilleure que l’original, un film qui jongle habilement entre une proximité et une évolution avec son aîné. Pour finir, Terminator 2, derrière tout ce que l’on a vu, c’est tout simplement un grand film sur l’humanité, ses failles, ses penchants destructeurs, mais aussi ses espoirs. Pas mal pour le divertissement pop-corn annoncé.