Voilà, j'ai enfin terminé une boucle qui avait démarré en 2022 par la lecture d'une critique sur SC du roman de Thomas Hardy (carolectrice) qui m'avait remis en mémoire un certain film de Polanski vu à sa sortie en 1980 et donné envie de lire ce livre, que j'ai trouvé excellent. Il me restait à revoir le film avec Nastassia Kinsky. C'est fait.
Dès le générique, on est mis dans l'ambiance du début du roman avec cette procession de jeunes filles très joyeuses, habillées de robes blanches virginales, dansant entre elles sous les sons d'un orchestre campagnard pour célébrer le premier mai et la fertilisation de la terre. Avant qu'apparaisse la dédicace "To Sharon". Bien des années auparavant, c'est Sharon Tate qui lui avait fait lire le roman et donné l'envie d'en faire un film, peu de temps avant son assassinat …
Avant de basculer dans un monde noir et sordide. Socialement noir. Moralement noir. Et pourtant, on ne voit pas passer les presque trois heures, tellement on se désespère et de la gent masculine et de la sombre spirale sans fin de descente de Tess aux enfers.
Comme dans le roman, il n'y a pas un homme pour en racheter l'autre. Le choix des acteurs masculins est très révélateur. Il y a le père toujours entre deux vins qui est repoussant et lâche. Les deux hommes qui tournent autour de Tess, Alec et Angel. Le premier a l'aspect de ce qu'il est à savoir un nobliau libertin et sans scrupules face à un (presque) chérubin, fils de pasteur, avec ses bouclettes blondes et son romantisme de façade qui ne vaut pas mieux en termes de saloperie. Un romantique anticonformiste qui lit "le Capital" et qui montrera, dans son intimité, le pire des conformismes. Il y a aussi les employeurs fermiers tout-puissants et impitoyables. Même le curé, avec sa bonne bouille, s'y met lui aussi à refuser d'enterrer le bébé pour une question de principe. All disgusting.
Comme dans le roman, il y a Tess ici servie par une lumineuse et belle Nastassia Kinski. Comme dans le roman, on se désespère de voir cette jeune fille et femme se demandant à plusieurs reprises pourquoi elle est "toujours du mauvais côté de la porte".
Difficile d'oublier son visage et surtout son regard intense et pensif superbement cadrés et photographiés dans tous les sens et dans de beaux décors variés. Bouleversante dans sa lutte perdue d'avance contre un destin malveillant. Que dire de la dernière scène où elle est endormie sur une table de pierre ? un autel ? à Stonehenge, le temple du soleil, dans l'attente du sacrifice ultime ?
La mise en scène de Polanski en scope et avec une caméra qui bouge lentement comme pour mieux s'imprégner des beaux paysages, m'a paru très efficace pour opposer la noirceur du propos et des hommes à la beauté de la nature. D'ailleurs, on peut apprécier que la campagne anglaise du Dorset ait été magnifiquement filmée dans les campagnes bretonnes et normandes …
Pour conclure, Tess est un beau film irrémédiablement dramatique avec une poignante Nastassia Kinski dans le rôle d'une "pure woman faithfully presented".