The Apprentice
6.8
The Apprentice

Film de Ali Abbasi (2024)

Bon, je ne vous cache que c'est très délicat de parler d'un film, dont l'actualité est plus que bouillonnante, sur un sujet qui l'est encore plus, déchainant bien les passions, opposant deux camps férocement opposés. Évidemment, la période de sortie de ce biopic n'est absolument pas due au hasard. Est-ce qu'il va avoir le moindre impact sur l'élection présidentielle américaine, ayant très bientôt lieu, au moment lors duquel je rédige cette critique ?


Je ne suis pas devin, mais j'ai de sérieux doutes quant à cela (que ce soit dans un sens ou dans un autre !). Il suffit de constater que cet abruti de George W. Bush avait été élu en 2004 (je n'écris pas "réélu", étant donné que les résultats de l'élection de 2000 avaient été truqués !), quelques mois après la sortie du palmé Fahrenheit 9/11. Disons que la majorité de celles et ceux qui ont vu ou qui iront voir The Apprentice sont des personnes ayant une haine viscérale à l'égard de Donald Trump.


Oui, parce que ce long-métrage parle de lui. Et contrairement à ce que pourrait faire croire le titre, ce n'est pas de l'homme de spectacle d'à partir des années 1990 qui est évoqué, mais son ascension qui s'est déroulée aux cours des décennies 1970 et 1980. Ou comment un grand dadais, écrasé par une figure paternelle (il faut bien le dire, particulièrement odieuse !), comme une nonne sur une scène de striptease dans un monde de requins sans foi ni loi (je demande, par avance, pardon à tous les poissons nommés ainsi qui pourraient, à juste titre, se sentir insultés par mes propos !) va devenir le véritable monstre outrancier de narcissisme que l'on connaît.


Et contrairement à ce que ce dernier a voulu faire croire ou a réussi à faire croire, il ne serait rien, non seulement sans la fortune familiale, mais aussi sans son mentor des débuts (oui, c'est sur ça que se base le titre !), l'avocat, sans le moindre scrupule, pour qui la fin justifie toujours les moyens, Roy Cohn. D'après celui-ci, ce ne sont pas les lois qui sont les plus importantes, ce sont les hommes qui se dissimulent derrière. C'est là qu'il faut attaquer, attaquer, attaquer. Le pire, c'est qu'il a raison. Et là, le film fait un constat malheureusement amèrement évident, à savoir que si la société et ses "plus grands" représentants avaient été respectables, n'avaient rien eu à se reprocher, jamais un connard fini comme Roy Cohn, et, en conséquence, jamais un type comme Donald Trump ne seraient parvenus à arriver là où ils sont.


Bref, le principal fil conducteur de l'ensemble, c'est qu'on assiste à l'élévation d'un élève qui va largement dépasser le maître en monstruosité. À propos de cet élève... de cet apprenti, l'ensemble ne dissimule rien de son racisme, de son homophobie, de sa misogynie, de son attitude horrible à l'égard de ses proches, de son ingratitude envers les personnes à qui il doit son succès, de son incapacité à avoir la moindre once d'empathie, de son côté violeur tant qu'à faire. Il sait tout (parfois, ça marche, quand il comprend que le New-York sinistré des années 1970 est en fait une véritable mine d'or, parfois, ça foire, à l'instar de ses casinos à Atlantic City !), il se crée sa propre réalité (ce que souligne symboliquement une des dernières séquences montrant crûment une opération de chirurgie esthétique !), il écrase tout le monde (à ce point que je n'ai même pas pu m'empêcher de ressentir de la pitié pour Roy Cohn, lors de la seconde moitié... alors que le mec est une enflure de compétition, je le rappelle !).




Reste que The Apprentice n'apprend rien, n'étonne en rien. Mais, ce n'est pas tant la faute du film en lui-même (qui dégage une belle intensité !) que du sujet. En effet, Donald Trump a tellement défoncé, puissance 10000, la moindre limite existante, dans ses propos, dans ses frasques, que n'importe quelle évocation, un tant soit peu fictive, apparaît inévitablement fade par rapport à la réalité. Même les créateurs de South Park ont jeté l'éponge, c'est dire.


Bon, et le cinéma dans tout ça ? Du point de vue technique, il y a un véritable travail sur la photographie, passant du style cru documentaire des années 1970 au grain VHS des années 1980, pour que l'on capte bien visuellement le changement d'époque, le tout accompagné de tubes musicaux de ces époques, pour que l'on capte cela aussi d'une manière sonore. Pour l'interprétation, en Donald Trump, Sebastian Stan a l'intelligence de ne pas aller vers une pâle imitation, pouvant être vite ridicule, en adoptant une posture crédible de ce que peut être le Trump dans l'espace privé. Le charismatique Jeremy Strong impressionne en Roy Cohn froid, sec, sarcastique et reptilien, dont la vulnérabilité se laisse, malgré tout, de plus en plus voir. Pour ce qui est de l'écriture, le protagoniste orangé est tellement écrasant que l'auteur du scénario, Gabriel Sherman, et le réalisateur, Ali Abbasi, n'ont pas pu s'empêcher de négliger Cohn à partir du début de la seconde moitié, alors que son évolution parallèle aurait pu offrir au moins un aspect surprenant, car peu connu du public, à l'œuvre.


Bref, aussi estimable et intense, lors du visionnage, que ce soit, pour The Apprentice, la réalité dépasse, ici, trop la fiction pour produire un effet considérable.

Plume231
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