The Dark Angel
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le 2 mars 2022
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On le sait, The Batman est le résultat d’une production pour le moins chaotique. Alors qu’il campait le rôle de Bruce Wayne dans le film Batman v Superman de Zack Snyder sorti en 2016, Ben Affleck était engagé par la Warner pour écrire et réaliser un film entièrement centré sur le personnage qu’il interprétait. Le catastrophique Justice League étant entre temps venu forcer le studio à reconsidérer ses ambitions de séries de films reliés les uns aux autres, le projet passa dans les mains de Matt Reeves. Dans la foulée, on apprit que Ben Affleck ne revêtirait plus le masque de Batman et qu’il serait remplacé par Robert Pattinson. Autant de nouvelles qui avaient de quoi nous réjouir : le réalisateur ayant signé les deux derniers épisodes de La Planète des singes et l’acteur n’ayant à peu près fait que d’excellents choix de carrière après Twilight. Depuis, on n’a cessé de nous annoncer un film noir, mature et radical. De quoi alimenter nos fantasmes les plus fous. Et donner lieu à ce qui allait forcément nous décevoir ?
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Tout commence un soir d’Halloween. Un Ave Maria en fond sonore, nous assistons en vue subjective à l’observation aux jumelles d’un enfant déguisé qui feint de tuer son père dans un salon cossu. De la personne qui tient les binoculaires, nous entendons seulement la respiration gênée par un masque. Le soir même, la mort de ce père de famille, qui n’est autre que le maire de Gotham City en pleine campagne de réélection, n’aura plus rien du jeu. Un mystérieux tueur annonce alors s’en prendre à l’élite corrompue de la ville, ne laissant à la police qu’une série d’indices tous plus cryptiques les uns que les autres que seul Batman semble être capable de décoder. Ce dernier tente de remonter la piste du meurtrier dans une enquête qui le mènera jusqu’aux racines de la corruption qui gangrène la ville.
La première originalité de The Batman est de nous épargner un énième récit des origines. Lorsque débute le film de Matt Reeves, la voix-over du justicier qui lit son journal nous apprend, sur un mode de narration propre au film noir, que cela fait déjà deux ans qu’il arpente les rues de Gotham City dans le but d’insuffler la peur chez les criminels. Ce choix de faire l’économie d’une histoire que nous connaissons tous est salvateur : il permet à l’intrigue criminelle d’occuper l’entier du récit et confère une dimension quasi abstraite à l’univers dépeint. La première demi-heure est ainsi extrêmement efficace et prometteuse. Hanté par le traumatisme de la mort de ses parents, Bruce Wayne nous expose la nécessité de faire croître la peur, cet outil de dissuasion, dans la ville et la tête de tous les criminels potentiels. Le but revendiqué de Batman est de se dessiner dans toutes les portions d’ombres de la ville. Jamais le personnage, rejeton d’une ville d’où ne naît que le monstrueux, n’aura été aussi proche de ce qu’il souhaite combattre.
Pour donner forme à cette vision, les choix esthétiques de Matt Reeves sont tous pertinents. Crépusculaire, la photographie de Greig Fraser fonctionne comme un parfait miroir de la psychologie de Batman et la direction artistique brille par ses aspects rugueux. Avec leurs coutures grossières et leur aspect artisanal, les costumes (de Batman, de Catwoman, de l’Homme-Mystère) ancrent le récit dans une tonalité désillusionnée. Sans relever du fameux réalisme « à la Nolan », cette approche signifie un refus catégorique du fantasme hightech comme en témoigne cette batcave industrielle qui s’apparente à un vulgaire hangar. Lorsqu’il s’agit de filmer l’action, Reeves sait tirer parti de l’obscurité dans laquelle le métrage est baigné. En misant davantage sur la brutalité des corps à corps que sur un spectaculaire démesuré, la réalisation est toujours lisible.
L’autre idée la plus affirmée est celle de renouer avec les origines d’enquêteur du personnage. Le Batman qu’incarne Robert Pattinson (qui fera taire ses détracteurs par sa capacité à habiter le rôle) passe plus de temps sur les scènes de crime que n’importe quel autre de ses prédécesseurs, ce qui donne lieu à un rythme très éloigné de la frénésie habituelle des blockbusters. Il est ainsi fréquent que le temps se dilate, Reeves usant (et abusant parfois) des gros plans, les faisant durer pour souligner le caractère tourmenté de son personnage. Rongé par la vengeance au point de flirter avec la folie, ce Bruce Wayne s’avère également être le plus torturé que nous avons vu sur grand écran. Sa dégaine n’a rien du playboy et évoque explicitement la figure grunge de Kurt Cobain (que l’on entend à plusieurs reprises entonner « Something In The Way » en parallèle au magnifique score de Michael Giacchino qui démontre qu’il existe encore une alternative aux zimmeries).
Cette tonalité est celle du film tout entier. Sombre, pluvieux, violent : The Batman rappelle le cinéma de David Fincher par sa noirceur. On regrette que cette ambition affichée de marcher dans les pas de Se7en et de Zodiak ne soit pas accompagnée de la même méticulosité dans l’écriture. Aussi rapidement qu’il abandonne sa prometteuse narration en voix-over, le film qui s’annonçait comme la démonstration des talents de « meilleur détective du monde » de Batman place ce dernier dans le rôle d’un agent passif, subissant plus qu’autre chose l’enquête qu’il est censé résoudre. À l’image de ce policier qui révèle la clé d’une énigme à Batman en lui faisant part d’une anecdote sur son oncle poseur de moquette (si si), l’évolution de l’intrigue dépend trop souvent des interventions inopinées de personnages secondaires. Alors qu’ils se grattent le menton, Batman et Gordon voient le Pingouin résoudre un jeu de mots crucial à leur place ; lorsqu’il s’agit de dénouer le nœud principal de l’enquête, c’est l’enregistrement d’un appel téléphonique sorti de nulle part et brandi par Catwoman qui fait office de deux ex machina. Faut-il voir dans cette impuissance de Batman une manière de nous signifier que la quête vengeance n’aboutit à rien ? C’est du moins ce que laisse entendre la prise de conscience finale (et expédiée) de Batman qu’une seule reprise de son mantra par un malfrat suffit à reconvertir en porteur d’espoir. Avec près de trois heures de film au compteur, nous étions en droit d’assister à une mue morale plus subtile.
Si Colin Farrell est autant méconnaissable qu’excellent en Pingouin et Paul Dano véritablement inquiétant en Homme-Mystère, on ne peut pas en dire autant de Zoë Kravitz qui doit composer avec une Catwoman rallongeant souvent inutilement l’intrigue. On retrouve un triste manque de subtilité dans le traitement de ce personnage, qui fait parfois office de prétexte à quelques répliques woke insérées au chausse-pied. On en vient alors à redouter que la présentation de l’itération la plus troublée et violente de Batman n’était pas qu’une manière de signifier la nécessité de sa conversion.
Après Joker, la Warner et DC confirment avec The Batman qu’ils misent désormais sur des appropriations auteurisantes de leurs univers. Même si le film de Matt Reeves n’atteint pas l’ambiguïté morale de son prédécesseur, on peut se réjouir de cette volonté de servir l’antithèse du super-héroïsme kitsch d’en face.
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le 28 févr. 2022
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