Renouveau esthétique

Dans un environnement saturé de super-héros et après une percée réussie du plus sombre et social Joker, Matt Reeves parvient à se démarquer des autres productions et des autres itérations de Batman. Le point fort du film c'est avant tout son univers visuel graphique et sonore. Inspiré de Fincher et autres productions un peu sales à la Blade Runner le film honore également son médium d'origine. On y retrouve ainsi des décors torturés, une ville très stylisée, des lumières un peu malades et jaunâtres et de forts contrastes noirs typiques des comics. Batman est vraiment introduit visuellement comme une créature des bas-fonds qui naît de la folie et la vengeance. On retrouve également dans les décors très chargés à la Seven ou encore le travail chromatique étouffant du club cette sensation d'enfermement et d'aliénation. L'ensemble est complété magistralement par une bande-son rock et gothique avec l'excellent thème de Kurt Cobain mais aussi ce remix certes pas très original mais furieusement adapté de la Marche Impériale de Star Wars.

Je retiens quand même quelques bémols dans cet univers comme des plan de caméras parfois un peu trop pompeux mais aussi ce choix d'un Batman un peu lourdaud qui fait des gros bruits de bottes trop théâtralement (D'ailleurs on ne peut pas à la fois faire autant de bruit avec cette botte et apparaître et disparaître « à la Batman »). Je chipote parce que je trouve que visuellement c'est un film très réussi mais justement il va parfois un petit peu trop loin et devient un peu trop affecté, et cite un peu trop volontiers un grand nombre de références.

Le film est également moins un film d'action que les précédents se concentrant plus sur l’enquête policière mais également sur une critique discrète de la société capitaliste et de la corruption. En ancrant ses personnages dans un univers formellement distinct des dernières propositions mais également en plaçant son intrigue 2 ans après l'établissement du Batman (et donc pas une énième Origin Story) Matt Reeves réussit en effet sa promesse de se distinguer. Robert Pattinson incarne brillamment un Bruce Wayne assez puéril, coincé dans son désir de vengeance et avec une vision encore très idéaliste de son père. le film pointe également du doigt la vision assez manichéenne de Batman avant tout personnage riche et donc avec une vision très limité du et fermé du monde dans lequel il évolue — pointé du doigt dans un des rares échanges intéressants avec Catwoman (désolée, mais y a pas d’alchimie entre eux).

Mais après un si bon départ l'intrigue révèle assez vite ses failles et le personnage pourtant présenté comme différent revient vite dans des sentiers plus balisés, conditionné aussi par le désir de garder un film accessible à tous (PG13 aux États-Unis). En effet le début du film pose une vision très différente du Batman habituel : c’est un vigilante méprisé par la police qui agit hors de tout cadre légal et avec son propre compas moral. Mais cette vision beaucoup plus sombre s'atténue au fil du film, la police continuant d'intégrer Batman ou de lui porter une certaine déférence (il n’y en a pas un seul pour lui enlever son masque ou pour suspendre Gordon qui pourtant désobéit clairement à un ordre direct). Le film joue un peu le chaud et le froid dans cette relation très floue et confuse entre Batman et les autorités, et ça ne joue pas en sa faveur. Sans révéler les détails du film, je trouve qu'il y a plusieurs scènes où on a un potentiel extrêmement transgressif ou une critique sociale plus poussée mais que le film ne va pas à fond et ramène systématiquement Batman du « bon côté ». Le film iconise de plus en plus son héros pour l’élever à un statut quasi-messianique (la scène de la torche). Les scènes d'action ne sont pas toutes réussies, pas forcément lisibles ni utiles, les énigmes sont franchement un peu trop faciles et Batman est quand même un petit peu ballotté par Enigma.

J'ai donc trouvé que sur le fond le film ne va pas au bout des choses, effectue trop de revirements et recours à plusieurs facilités scénaristiques. Il cherche à aborder trop de thèmes et échoue à proposer un mélange des genres à la fois lisible et percutant — là où avait réussi Joker par exemple. The Batman est donc réussi d'un point de vue esthétique mais plutôt confus sur le fond.