De la décadence urbaine et cinématographique, l'énième et prévisible victoire de la superstructure

Avant toute chose, il faut se pencher rapidement sur ce qu’est Batman ; héros mystérieux et meurtri à l’image de sa ville natale? Sinon un Jeff Bezos emo sous stéroïde. A mes yeux Bruce Wayne c’est surtout un ultra-riche furieusement travesti en furry de blogspot ténébreux, figure prophétique malgré lui qui se paie des séances de philanthropie et d’auto-fellation en combattant le crime avec des gadgets, et qui n'obéit qu'à sa propre justice. Mais DC a tout prévu, de sa bonté il n’en est rien : le pauvre a une enfance difficile, rythmée par la solitude et l'assassinat de ses parents. La souffrance de notre ami Bruce ne sert qu’à légitimer ce qui ne peut l’être – j’imagine mal les parents du Petit Gregory se mettre à courir arbitrairement après les vendeurs de crack de Stalingrad pour venger leur fils et faire couler la pègre parisienne (avec, évidemment, un mauvais jeu de mot assumé).


Je dois au moins admettre que ces dernières années DC a mis de l’eau dans sa villageoise et n’a pas hésité à remettre en question cette figure du « super-héros » immuable et surpuissant. Déjà dans la trilogie The Dark Knights (je les ai pas tous vu mdr), Christopher Nolan n’hésitait pas à montrer le pendant de cette efficacité – surveillance de masse et lâcheté. Même un film comme Joker, pour lequel j’ai des réserves, avait bien réussi à montrer que le mal n’est que rarement en soi, il est structurel et explicable. Poser la question du déterminisme revient à interroger un système, ses structures et surtout ses mythes.


Mais, comme bien souvent, ici ça ne sera pas le cas. Les questionnements logiques et moraux de Bruce Wayne - fabuleusement massacré par Robert Pattison qui décidemment ne sort pas de sa crise d’adolescence, condamné à faire des regards vides sur du Nirvana – ne trouvent pas suites, ils sont évacués par des réflexions incohérentes et confuses qui annihilent absolument tout. En gros, ça sonne creux. Le film n’arrive pas à s’émanciper de son mode de production structurel : celui d’Hollywood. Il est rattrapé par un standard et son cadre, le mal doit rester le mal et le bien doit rester le bien : Riddler devient le méchant irrationnel et puéril, Batman n’a finalement rien à se reprocher (alors qu’on ne cesse de nous dire l’inverse). L'inventivité de Joker n'est même pas au rendez-vous, que reste-t-il à Batman, alors?


L’argument majeur du film reposait sur sa force visuelle et cinématographique, évidemment décevante. On se retrouve devant un ersatz de film noir, où on cherche la froideur et le badass, mais ça n’est pas une esthétique – seulement un style irréfléchi et décoratif. Quelques moments de mises en scène riches et un character design intéressants (je salue tout de même le jeu de Paul Dano, excellent dans son rôle malgré un scenario plat et des répliques inutiles) mais sitôt démoli à grand coup de montages frénétiques dans le foie.


Si je devais conclure, devant la violence et la crasse de Gotham qui inquiète tant Batman, la seule solution – me semble-t-il – serait de regarder vers le Cambodge, ou plutôt le Kampuchéa Démocratique. Finalement qu’est-ce que les quelques millions de mort de Pol Pot devant son idée géniale : vider les villes pour se débarrasser de la décadente bourgeoisie urbaine, et surtout nous éviter d’autres horreurs cinématographiques comme The Batman.


En espérant, comme à mon habitude, que cela vous déplaira.


Bizou

drieularoquette
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le 20 mars 2022

Critique lue 223 fois

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drieularoquette

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