Une vérité accommodante est une vérité accommodée

J’avais dit qu’on ne m’y reprendrait plus. Et à chaque fois c’est pareil, je me fais avoir. Voici donc une nouvelle version de Batman. Nouvel acteur, encore. Nouvelle approche, encore. Qu’y aurait-il donc à rajouter qui n’aurait pas déjà été dit ?

Pour la faire courte, Batman est un vengeur taciturne qui fait flipper le malfrat. A grands coups de tartes dans la pomme, il tente de faire respecter l’ordre dans une ville rongée par la pourriture. Bruce Wayne vit caché dans son manoir et le petit monde politico-judiciaire planque le cash sous le tapis de la démocratie. Tant de secrets à révéler. Tant et tellement qu’un nouveau justicier se fait jour et celui-ci entend bien montrer la crasse et le sang qui sèchent sur les mains du gotha de Gotham.

C’est dans cette nouvelle tendance au réalisme que se place le film. A la manière du Joker de Todd Phillips si on veut, le désespoir en moins. Une façon de dire que The Batman n’est pas un élément du bazar marketé du DCU et qu’il n’a pas grand-chose à voir avec la bouillie de Snyder et consorts. Plus que le personnage de Batman avec qui on est intime et dont on partage la dépression depuis de nombreuses années, c’est la société gothamienne qui est sous le feu de la rampe. Dans ce monde, l’argent coule à flot et passe de poche en poche au gré des arrangements entre la pègre et la police. En cette période d’élections municipales à Gotham, le discours politique fait référence à un espoir qui contraste avec la réalité de la rue. Il cache la précarité et la Bérézina des pouvoirs publics. Et qui dit vérité cachée, dit complot. Qui dit complot, dit révélation ou éveil comme on dit maintenant. Et dans ce Gotham de 2022, la vérité est la nouvelle vertu. Celle au nom de laquelle on peut condamner et exécuter une sentence. Nul besoin de tribunal quand celui-ci est perçu comme illégitime. Chacun fera sa justice en fonction de sa vérité. Au royaume des fake news, les justiciers autoproclamés sont rois. L’ennemi de Batman est de ceux-là. Mais au fond, le Batman (qu’on appelle ici Vengeance) est-il si différent ? Quelle légitimité a-t-il pour tataner la tronche du premier venu ? Et en toile de fond, c’est l’élection qui se casse la margoulette et la dérive autoritaire d’une minorité qui prend le dessus. On le lit entre les lignes, ce Gotham c’est l’Amérique d’aujourd’hui (il en a toujours été ainsi) mais aussi l’Europe finalement. A force de compromissions la parole politique n’a plus de valeur ou du moins, pas plus que le gugusse qui clame sa vérité sur Youtube ou Odyssée. Le film est très ambivalent quand on y pense. Il fustige la dérive de la justice personnelle et du délire complotiste tout en montrant que les informations révélées par le méchant de l’histoire sont vraies, ce qui donne de la légitimité sinon à son action, au moins à son discours.

Ce sont toutes ces interrogations qui nous accompagnent le long de ces trois heures qui passent finalement assez vite. A l’interprétation, du bon et du moins bon. Pattinson s’en sort très bien en monolithe (ce coup-ci on ne pourra pas le lui reprocher, c‘est le rôle qui veut ça) et Paul Dano est comme d’habitude fabuleux. On ne dira pas la même chose de Zoë Kravitz, insipide et agaçante Catwoman. A la mise en scène, c’est sombre et on suppose que le chef op’ était en vacances. N’empêche que ça marche bien et certains plans sont de toute beauté. La partition musicale est de son côté vraiment too much et rappelle ENORMEMENT la marche impériale … alors si en plus vous mettez un mec habillé en noir avec une cape, ça fait un medley un peu déstabilisant. Alors à voir ? Oui, de mon point de vue, surtout pour la thématique très actuelle et pour ce côté polar à l’ancienne.