...comme disent les djeuns.


Cette critique s'organisera en deux parties : je rappellerai d'abord quel est le rôle de Batman, quel idéologie politique son récit implique, puis je donnerai mon avis sur ce film plus précisément, en termes de cinéma cette fois-ci.


Commençons donc par rappeler ce qu'est Batman, politiquement. Ça n'aura aucun effet sur la note (je considère qu'un film peut porter une idéologie totalement contraire à la mienne et demeurer un excellent film : voir par exemple L'arbre, le maire et la médiathèque de Rohmer avec lequel je ne suis pas d'accord sur la conception de l'écologie), mais je le trouve flagrant dans ce film-ci. Donc, qu'est Batman ? Batman est un justicier masqué auto-proclamé. Il ne semble pas déranger l'État autant que ça, bien qu'il s'en détache. Son seul pouvoir est d'avoir hérité de son père, et donc d'être pété de thunes, ce qui lui permet de passer son temps à se muscler (pour devenir le plus fort de la Terre !), s'entraîner, et surtout dépenser sa thune en gadgets qu'il utilisera pour buter les méchants. Où je veux en venir ? Batman est essentiellement conservateur, et même peut être possède-t-il en lui une germe de fascisme. Attention, je ne veux pas faire un point godwin inutile, et encore une fois ça ne fait pas de Batman un mauvais personnage de film (c'est justement ce qui crée la nuance morale chez lui tant appréciée). Je m'empresse donc de me justifier. Premièrement, il ne faut pas oublier que ce que fait Batman, c'est "maintenir l'ordre". Il empêche tout débordement de violence, ce qui n'est pas si grave (c'est le rôle de la police mais bon, elle est présentée comme incompétente), mais surtout il empêche tout changement de régime. (Qu'on se le dise bien, les "révolutionnaires" du film ne sont pas très sympathiques évidemment, mais c'est le film qui choisit d'en faire des grands criminels, il présente une idéologie conservatrice et contre-révolutionnaire en les présentant ainsi, c'est son choix. ) Secondement, cela nous amène à parler de sa méthode : une violence physique, de plus en plus importante chronologiquement dans les films Batman... présentée comme légitime. Or, quelle institution revendique le monopole de la violence légitime ? Eh bien, selon Max Weber, il s'agit de l'État lui-même (cf Sociologie des religions). Batman est donc un agent de l'État qui s'en détache, puisqu'il a une certaine indépendance - un État dans l'État (comme la SS, mais bon hein, on va éviter les rapprochements trop rapides) personnifié. Tirons-en notre conclusion : Batman est un agent de l'État violent (donc autoritaire) qui réprime les débordements révolutionnaires qui ont lieu dans Gotham, puisque la ville est un lieu de grande pauvreté, donc d'un capitalisme dysfonctionnel, et dont les institutions sont aussi dysfonctionnels. Et ça, ça se rapproche de ce qu'est le fascisme, qui est selon Trotski l'institution politique totalitaire que le capitalisme met en place lorsqu'il n'arrive plus à maintenir l'illusion de la démocratie bourgeoise, et qu'il lui faut un contrôle étatique des mentalités, de la violence, et de l'économie. On trouve des similitudes avec Batman. Cependant, on évitera d'assimiler trop rapidement les films Batman à une simple propagande nazie : il n'est pas une institution entière, il n'est pas totalitaire (mais seulement autoritaire), et il garde une part de moralité (dons, remise en question permanente, justice plus policière...). Batman n'est donc pas un odieux fasciste, mais il porte une germe de ce qui pourrait devenir, une fois porté à un modèle étatique, institutionnalisé et nationalisé, un système fasciste. Le mot de fascisme peut faire fort, j'en ai conscience, mais trop souvent on considère Batman comme un grand gentil ; il faut rappeler ce qu'il en est.


Maintenant que cela est dit, parlons du film en lui-même. The Batman n'est vraiment pas un mauvais film. On a un grand plaisir à le regarder, et il est conçu pour cela. Ça rassure de savoir qu'il y a encore des films de super-héros comme ça, qui ne tombent pas dans de la profonde merde, la forme est de bonne facture ici. L'image est vraiment belle (même si on regrettera des tons noirs trop présents et un contraste un peu trop fort), il y a le souci du cadrage, on ne se limite pas à un vieux contraste bleu-orange qu'on connaît par cœur. Le montage est un peu trop rapide à mon goût, mais ça n'est pas abusif. On a des belles scènes de combat (je pense surtout à celle de la boîte de nuit et à celle éclairée uniquement par les tirs de feu), bien chorégraphiées dans l'ensemble. La musique passe bien (même si un peu clichée par moments), le rythme est agréable et on ne s'ennuie pas : les trois heures sont bien utilisées. Cependant, il est très dommage que le film tombe parfois dans de grosses facilités. Batman est mystérieux, hmm il est dark, regarde-le il fait la gueule tout le temps. Ça, c'est chiant, on le connaît par cœur ce Batman. Même si l'histoire de sa vie qui nous est présentée diffère un peu, on retrouve les mêmes questionnements, le personnage est un peu trop cliché. Encore pire pour Catwoman, sur qui il n'y a rien à dire tant c'est déjà vu. Le scenario ne fait pas grand chose, c'est assez conventionnel. C'est très agréable à regarder, mais putain offrez-nous un peu de réflexion. Il y a de quoi disserter en plus, quand on est un super-héros. Mais ces questionnements sont refoulés au rang de scène émotionnelles franchement dépourvues d'intérêt et beaucoup trop faciles. On aurait peut être aimé un Batman plus contemplatif, plus d'introspection, et surtout mieux faite. Car oui, bien que certaines scènes sont très bonnes, qu'on ne s'ennuie pas, que c'est agréable à regarder, ça ne veut pas dire que le film est bon. Certaines scènes le mettent en évidence : on pense à celle de la poursuite en voiture, qui pousse le ridicule jusqu'au bout, devant laquelle on ne peut que se dire : "toujours plus...".
C'est un film agréable à regarder, mais je n'arrive pas à le trouver bon. Les qualités de forme masquent des grosses lacunes de fond. Le film tente de se rattraper en mettant Catwoman du coup, puisque bon personne va chialer d'avoir une meuf en tenue hyper moulante, même si le personnage est très mal écrit, hyper cliché, et que bien sûr elle va tomber amoureuse de Batman. Tiens, on va quand même contenter les féministes, elle va dire qu'elle peut se défendre toute seule à un moment et ce sera bon.


Allez voir The Batman. Vous allez passer un bon moment, c'est bien exécuté. Mais ne vous attendez à rien de plus qu'à de bons moments et quelques belles images.


C'est donc un 5 (avec un petit keur parce que j'ai subjectivement aimé le film en termes de pur ressenti), parce que le film est plutôt de bonne facture, mais qu'il omet toute profondeur.

Turtie
5
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le 20 avr. 2022

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Turtie

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