[Spoilers partout] The Cobbler ne part pas sur une idée neuve ; changer de corps, c'est un fantasme largement exploité par l'art. En l'occurrence, on peut changer de corps en enfilant la paire de chaussures d'une personne après l'avoir passé à la machine à coudre (la paire de chaussures, pas la personne).
Le film revient de loin puisque son personnage est un cordonnier et que la première scène se passe à New York en 1903 dans une réunion de famille parlant yiddish. Le rapport est pour le moins obscur. Mais bon, ça fonctionne pas mal, surtout que le film n'en fait pas des tonnes ; pas de scénario abracadabrant, pas de rôle ébouriffant, les acteurs sont zens, la musique est sympa, et pas mal originale.
Le changement de corps nécessite autant d'acteurs pour jouer le même personnage et la transposition est fascinante ; on a l'impression de voir le personnage, puis de voir l'acteur, et les deux visions s'alternent rapidement comme deux interprétations d'une illusion d'optique. C'est un mauvais point pour la crédibilisation du scénario mais un bon point pour l'éclate. Et puis l'acteur a une bonne bouille et un bon caractère, alors on s'attache à lui.
Mais tout ça ne laisse pas augurer l'insensibilité totale de l'œuvre. La mère du personnage perd la tête ; elle est vieille, mais elle est gentille aussi, et son mari lui manque qui est parti bien des années auparavant. Alors, se dit son fils, pourquoi ne pas prendre l'apparence de son père pour satisfaire au vœu de la vieille ? On repassera pour la pudeur de la mort. Ah mais j'oubliais, ce n'est pas grave de lui donner ces faux espoirs puisqu'elle 1) n'a plus toute sa tête et 2) meurt dans la nuit. On repassera donc aussi (mais plus tard) pour la moralité. En plus, c'est sans compter que le père est dans les parages ; il tient une boutique voisine, et n'a simplement jamais pu faire savoir qu'il était là, ni à sa femme, ni à son fils, pendant une vingtaine d'années. On repassera pas, parce qu'il faut pas abuser non plus.
Les vingt dernières minutes sont des rebondissements couinants de twists médiocres et une débauche inexpliquée de violence dans le monde du cordonnier qu'on avait tous les droits d'espérer paisible. La conclusion est faiblement cathartique, ce qui est déjà ça. Mais on reste sur un sacré gâchis.
Quantième Art