Critique biaisée à la première personne (attention Spoilers)
À l'âge que j'ai, on n'attend plus la sortie d'un film comme une révélation. C'est pourtant ce qui est arrivé avec The Flash. Dès le premier concept art montrant le Barry Allen du Snyderverse (auquel je n'avais jamais accordé un regard au cours de ses itérations antérieures) se battre aux côtés du Batman de Tim Burton il y a de ça plusieurs années, le projet a comme qui dirait éveillé ma curiosité.
En effet, après m'être intéressé un tant soit peu à la question, et eu vent du fait que le film allait lointainement s'inspirer du comic-book Flashpoint, que j'ai toujours trouvé particulièrement émouvant (pour preuve, son adaptation en dessin-animé m'a fait pleurer deux fois à la première vision), j'ai perçu dans cette promesse quelque chose de semblable à l'Idée du siècle, le genre d'histoire que j'avais désespérément toujours eu envie de voir sur un écran sans jamais oser le demander ; The Flash remonte le temps pour sauver sa mère et est aidé dans sa tâche par le Batman de notre enfance. Franchement, n'y a-t-il pas matière à chef-d'œuvre avec un postulat pareil ?
L'ensemble avait en tout cas le mérite de stimuler l'imagination, et pendant un moment je me suis laissé aller à fantasmer quelques aventures épiques et déchirantes autour de ce canevas. Puis, vint le moment de l'approche de la sortie du film et de sa promotion. À ma grande surprise, les premiers échos semblaient véritablement annoncer quelque chose de raccord avec ce que je m'étais joué dans mon cinéma mental. Les bandes-annonces ne firent que confirmer cette impression, et mon impatience de découvrir le produit fini grimpa, le tout appuyé par les retours dithyrambiques des projections-tests et le soutien surréaliste dont il bénéficia de la part de personnalités telles que Stephen King et Tom Cruise. À ce moment-là, j'ai commencé à parler autour de moi avec passion de mon envie désespérée de voir le film, offrant ainsi à la Warner Bros. une publicité à l'œil qui m'aurait donné droit à un petit dédommagement dans un monde parfait. Bref, en juin 2023, le mobilier urbain se mettait aux couleurs de Batman et du Flash, dans cet ordre (sans doute pour faire oublier les frasques de l'interprète du rôle-titre), que ce soit dans les magasins de jouets (de ceux qui arrivent à en vendre aux adultes) et les transports en commun, nous transportant de nouveau en pleine Batmania de 1989, que je n'ai du reste pas connu, jusqu'à ce que le film tant attendu débarque enfin sur les écrans, accompagné de critiques pas forcément enthousiastes. Nous aurait-on menti ? S'agissait-il du résultat d'une stratégie marketing offensive et cynique qui nous aurait vendu, à tort, le plus grand film de tous les temps ?
La réponse nécessite d'être développée, mais je tiens à établir d'entrée de jeu que, malgré mes illusions personnelles, le film d'Andy Muschietti est au final très solide et ne mérite absolument pas les piques dont il est l'objet. Autrement dit, vous défendez des trucs pire que ça, les gars ! À commencer par les films Marvel, avec lesquels j'ai arrêté de perdre mon temps depuis la moitié du premier Avengers, tant ces objets manquent de profondeur émotionnelle, ce qui, on le verra, n'est pas du tout le cas ici. Cette digression peut également servir à évoquer Spider-Man : Far From Home, visionné car le personnage fait partie de mon panthéon personnel aux côtés de ses collègues Batman et Superman de chez Detective Comics. Or, ce métrage avait la déveine de ne rien faire des figures qu'il utilisait, que ce soit des précédents Spider-Men ou du Bouffon Vert, qui laissait espérer un arc de rédemption à fort potentiel malheureusement abandonné en chemin, le rendant finalement aussi inepte que ses autres partenaires à l'écran.
The Flash, un peu à la manière d'un Spider-Man d'ailleurs, raconte les déboires de Barry Allen (Ezra Miller), toujours déterminé à prouver l'innocence de son père incarcéré à la prison de Central City pour le meurtre de sa mère. Mais avant cela, il se voit convoquer pour une mission de sauvetage matinale à Gotham City par le (dynamique ? a-t-on le droit de le dire dans ce cas ?) tandem Ben Affleck/Jeremy Irons, respectivement dans les rôles de Batman et Alfred. Cette séquence plutôt inventive a le mérite de permettre de se familiariser avec certaines règles qui auront court dans le film, notamment avec les lois de la physique et l'apport calorique massif nécessaire au bon fonctionnement des pouvoirs du Flash, héros moins familier du grand public. Elle donne même lieu à un morceau de bravoure qui devrait passer à la postérité comme la scène dite du Babyshower, moment suspendu ayant droit à sa propre figurine Funko Pop (ceci n'est pas si étranger au projet, nous y reviendrons) où le super-coureur jongle avec une ribambelle de bébés au ralenti. Malgré des effets visuels immondes, le gros point faible du film, cette ouverture possède un panache certain et transpire la camaraderie unissant les héros qui se sont invités à la fête (dont la délicieuse Wonder Woman, qui agite de façon cocasse son lasso de la Vérité et émoustille toujours autant le Batman de ce cher Affleck) L'époque tourmentée de Batman vs Superman semble loin et l'ensemble fonctionne tout aussi bien.
C'est alors que l'histoire peut commencer. Je passerai sur l'imbroglio juridique que notre protagoniste cherche à résoudre, pour en arriver au moment où ce dernier découvre qu'il peut voyager dans le temps en courant plus vite que la vitesse de la lumière, dans un segment à vous dérégler votre fibrillation auriculaire si vous assistez à une projection du film en Dolby Cinéma. Ainsi, l'homme en rouge se retrouve dans le Cronobowl, une des idées les plus intéressantes du projet, sorte d'arène où convergent toutes les lignes temporelles. De ce point de vue, il est intéressant de constater que The Flash parvient à illustrer visuellement le concept sur lequel repose le grand gagnant des Oscars de la même année, Everything Everywhere All at Once, qui traite d'un sujet similaire pour en arriver aux mêmes conclusions !
La suite des péripéties conduit Barry à retrouver sa mère dans une réalité parallèle, la donnée la plus puissante de cette histoire, qui permet d'exploiter cette capacité du cinéma à donner l'impression de rêver d'un proche décédé, même si l'effet n'est certainement pas poussé à son paroxysme. De la même manière, il se retrouve confronté à son double alternatif de dix-huit ans, et il y a un je-ne-sais-quoi d'émouvant dans le fait qu'il devienne son propre mentor, réécrivant lui-même son origin story, même si leurs échanges en miroir se placent avant tout sous le signe de la franche comédie. Sans transition, la planète Terre est menacée par l'invasion kryptonienne émanant du film Man of Steel, dans un monde où Superman n'a, a priori, jamais montré le bout de son nez. La prise de conscience de ce détail prend la forme d'un sympathique hommage au cinéma spéculatif lorsque est évoqué, à destination des connaisseurs, le Retour vers le Futur avec Eric Stoltz dans le rôle de Marty. Pour ma part, j'aurais été très curieux de visionner La Rose pourpre du Caire et Mystic River portés par Michael Keaton, et je suis certain qu'ils ne manquent pas d'exister quelque part... Mais je m'égare.
De Keaton il va rapidement être question quand les deux Barry se mettent en quête du seul allié capable d'affronter ce péril, le seul et unique Batman. Il est la raison de notre venue en salle, et le frisson de revoir le manoir Wayne (le même qu'en 89, celui dans lequel les protagonistes de la dernière saison de You se livrait à une sanglante partie de campagne quelques mois plus tôt), son intérieur ayant conservé ses bibelots, la mythique Batcave peuplée de ses charmants habitants ailés, et la Batmobile, demeure. Contrairement à une mode récente à Hollywood consistant à rabaisser avec beaucoup d'hypocrisie les héros de notre enfance (Luke Skywalker, James Bond, et j'en passe), le chevalier noir se voit quant à lui accorder un traitement respectueux et cohérent. Certes, le temps a passé, et notre idole accuse les années, mais il bénéficie somme toute d'une destinée et d'un arc narratif satisfaisant. En outre, il est attendrissant d'apprendre que l'homme chauve-souris est venu à bout de son combat contre le crime, résultat qui le rend quelque peu inopérant et sans but. C'est précisément ce qui fait le prix de l'ultime aventure que lui propose le Flash, une épopée sibérienne (décalquant bizarrement certains plans du mésestimé Watchmen) dans lequel Batman use une dernière fois de ses capacités pour notre plus grand plaisir, tandis que l'illusion fonctionne pleinement, ce qui était loin d'être gagné au départ quand on connait l'âge de l'interprète. Et s'il peut paraître (comiquement) un peu froid par moment, il convient également de rappeler que dans les deux films qui lui sont consacrés, le personnage n'adresse la parole qu'à : son majordome, la fille qui l'intéresse, et au grand méchant de l'histoire. Entretemps, Bruce Wayne aura eu le loisir d'expliciter la notion de multivers en tenant compte du niveau de connaissances scientifiques moyen de ses spectateurs. Utilisant une paire de spaghetti comme support, le justicier parvient à nous révéler les mystères de la création et de l'espace-temps, une somme de connaissances dont je saurais me resservir...
Cette mission de sauvetage ajoute une Supergirl à cette bande de désaxés, et ce qui s'ensuit cimente de nouvelles relations, jusqu'à ce qu'ils reconstituent une Justice League de bric et de broc pour aller affronter ensemble la clique de kryptoniens dans un désert numérique. Nombreux sont ceux, encore une fois, à s'être plaint de la laideur visuelle manifeste de ce décorum. De mon côté, je trouve qu'il est plutôt poétique que notre enfance s'achève précisément dans les limites d'un gigantesque bac à sable au milieu duquel s'agite un amas de pixels renvoyant aux figurines qui jonchaient le parquet de nos chambres respectives. Ici, le plus jeune des Barry est le substitut du spectateur avec son costume de Batman repeint aux couleurs du Flash dans le but de livrer une bataille à la saveur d'un match de catch, discipline mentionnée à plusieurs reprises dans le film. Il est nous et sommes lui, et c'est vraiment de nostalgie dont il est question ici. Toutefois, le film a le mérite de nous permettre d'en sortir, en soumettant notre héros préféré à une série de morts hypothétiques, même si son corps politique demeurera bien évidemment immortel. Ce segment permet de raccorder avec la véritable thématique du film, qui suggère qu'il est important de ne pas se cramponner au passé, qu'il est nécessaire d'y faire face et d'avancer, ce qui conduit le Barry plus âgé à abandonner son illusion au profit de la réalité, nous invitant à faire de même.
Ce faisant, ce dernier renonce à la multitude de mondes imaginaires semblables à des timelines se déroulant dans un logiciel de montage, et ces morceaux de films viennent s'écraser en nous laissant la possibilité de faire nos adieux à ces visages familiers, de même qu'à ceux que nous n'aurons jamais eu le loisir de connaître. Devant ce spectacle, je me suis souvenu du jour où j'ai découvert pour la première fois le Superman de Richard Donner le jour de la mort de Lady Di, des dessins animés que je regardais chaque dimanche matin avant de faire mes devoirs, du soir où mon père est allé emprunter à mon regretté oncle son décodeur Canal + afin que je puisse découvrir, en avant-première si l'on peut dire, le Batman & Robin de Joel Schumacher, qui m'avait émerveillé et qui se voit réhabilité ici avec l'apparition finale de George Clooney ! La boucle est définitivement bouclée...
J'en conviens, The Flash est un film plus solide sur le papier que dans son exécution, qui laisse à désirer sur plusieurs plans, à commencer par ses effets approximatifs et l'impression de trop-plein qu'il peut laisser par moments. Cependant, il est traversé par une réelle passion pour le genre dans lequel il s'inscrit, pour les personnages qu'il convoque, ce qui lui permet souvent, sinon de réussir ses effets, au moins de rendre intelligible ses intentions. À partir de là, qu'importe qu'il s'agisse d'un film de studio résultant de multiples calculs et tergiversations, réalisé par des exécutants, et possédant tous les attributs pour être le gâteau d'anniversaire idéal des 100 ans de la Warner. Il m'aura quand même permis de rêver à nouveau durant 2h24 et au-delà.
À nous désormais de faire en sorte que le rêve se poursuive – c'est là la véritable leçon du film – ailleurs, autrement, et si possible dans la vraie vie. Finalement, peut-être que l'affiche, qui martelait que "The Flash nous rappelle pourquoi on va au cinéma", disait vrai, que ce soit dans cet univers, ou un autre. Тишина́ !