Il y a une bestiole répugnante. Un monstre aux multiples têtes. Aux multiples tentacules. Pollution. Ingérence de l’Etat. Inaction des populations. Cynisme médiatique. Incompétence policière. Rupture des valeurs familiales. L’ironie mordante de Bong Joon-Ho instigue son cri de révolte contre plusieurs problèmes. Mais une chose est sûre, nous créons nos propres démons.
De Mother, à Memories of Murder, en passant par Parasite, l’idée de s’enfermer dans les codes éculés d’un genre n’est jamais venue à l’esprit de Bong Joon-Ho. Il l’a parfaitement compris. S’approprier le genre et transcender ses lois pour en faire autre chose c’est lui donner une nouvelle légitimité. Lui offrir un style référentiel diversifié. Lui construire un univers imprécis pour le meilleur. C’est un fait, Bong Joon-Ho aime faire des mélanges hybrides. Et c’est une réelle bravoure qui permet ici de retrouver les portraits sociaux si chers au cœur du réalisateur, sur ces drôles de monstres, les humains, et leurs nombreux défauts.
Alien le Huitième Passager, les Dents de la Mer, Godzilla. Les influences et les styles de ces illustres représentants ne déteignent jamais sur The Host. L’œuvre s’attèle plutôt à un jeu amusant. Celui de retourner les canons du genre, de les parodier, de s’en moquer. Et le meilleur dans tout ce processus audacieux, c’est que son récit n’en pâtit pas une seule seconde. Il en devient même plus fort. L’inclinaison de la créature confirme pleinement ce constat. D’une allure grotesque, elle sabote elle-même l’envergure de sa menace. Incapable de se déplacer sans chuter. Pataude au point de se coincer la tête dans les maisons. Une simple enfant parvient à se jouer suffisamment d’elle pour lui survivre. C’est un monstre craignos qui a parfaitement sa place parmi les idiots et les badauds qui composent l’essentiel du casting.
Avec une stylisation parodique aussi prononcée pour le monstre, que reste-t-il ? Eh bien beaucoup de choses, car il faut admirer à quel point la créature n’est que la rime des discours subversifs du récit. En effet, si le burlesque n’est jamais très loin il est surtout le chef d’orchestre d’une multitude de dynamiques qui ne sert qu’un seul but : métaphoriser les tares d’entités sud-coréennes bien précises. D’un côté, il y a la perdition des valeurs familiales. La famille que nous suivons est dégénérée, malade. C’est la conséquence d’une éducation parentale à la fois dépassée mais aussi complice. D’un autre, il y a indéniablement une charge politique. On y retrouve tout le spectre de l’incompétence gouvernementale que Bong Joon-Ho aime tant dénoncer avec des policiers stupides, des médecins immoraux, et des leaders inaptes. Une incompétence qui se faufile jusque dans cette soumission à l’impérialisme américain, soit l’origine même du problème.
Mais davantage que des institutions incompétentes, il est intéressant de constater à quel point celles-ci massacrent presque autant que le monstre la petite famille au centre de l’histoire. Traquée, fichée, attaquée, manipulée. Sa situation symbolise l’abandon du pays pour ses citoyens. Et ce n’est pas un hasard si la construction du récit amène à un final où ce sont avant tout des rejetés de la vie qui prennent les choses en main. Unis, ils gagnent le combat. Non seulement contre le monstre mais aussi contre un système désintéressé de sa population.
La bête meurt, la crise est résolue, et c’est un étranger qui recueille un orphelin dans le besoin. Le gouvernement, lui, est débarrassé de son horrible crise tandis que les responsables demeurent en paix. Mise en place d’une épanadiplose pessimiste : le protagoniste principal retourne à son snack, rien n’a changé. Et qui sait ce que les eaux troubles du fleuve de Séoul abritent désormais.
Conclusion :
Avec The Host, Bong Joon-Ho est peut-être parvenu à créer l’hybride le plus étrange du cinéma : une comédie-thriller écolo-horrifique. Cette bizarrerie qui transcende le genre monstre est pourtant lucide et profonde en centrant son attention sur des problèmes de société. Elle rappelle les valeurs familiales, dénonce l’inaction du gouvernement, mais fait aussi porter une responsabilité sur les populations. Paradoxalement seule la créature paraît innocente dans ce paysage social, même si elle a parfaitement sa place parmi les badauds de Séoul.