Nous avions quitté Fincher sur une triple frustration : l’impossibilité de voir ses longs au cinéma avec la signature de son contrat d’exclusivité avec Netflix, Mank, film de grande forme limité par son scénario écrit par son père, et enfin l’arrêt prématuré de la série qu’il produit, la sublime Mindhunter.
Vous avez vu l’affiche ou la vignette Netflix et vous avez le programme du jour : nous faire vivre le quotidien de Fassbender dans le rôle d’un tueur. Le générique, qu’on sent inspiré des séries vintage, magistral comme toujours avec Fincher, encore une fois sublimé par la musique de Trent/Reznor, l’annonce à grands coups d’inserts entrecoupés de transitions à l’ancienne, vous êtes ici dans une série B, un film au scénario efficace, linéaire, ludique.
Nous ne serons pas trompés. Nous suivrons ici le tueur sans nom, de chapitre en chapitre – on pourrait croire à une mini-série Netflix -, de pays en pays, tel un James Bond ici directement cité ou plutôt, tant il semble vouloir être l'antithèse de ce dernier, une autre source évidente d’inspiration, le Hitman du jeu vidéo, assassin implacable et méthodique, qui s’applique des règles jusqu’à devoir les faire sauter en éclat et improviser pour pouvoir atteindre le niveau suivant.
Le jeu de l’autoréférence commence au plan d’introduction, avec la répétition d’un mantra nihiliste faisant écho à celui du personnage lui aussi anonyme de Fight Club. La tentation facile serait celui d’un autoportrait du cinéaste, lui aussi perfectionniste, qu’on dit froid car chirurgical mais bien vite, dès la fin de cette première partie à Paris en réalité, on comprend la dose d’humour dont sait faire preuve Fincher, le film se réservant des merveilles à ce niveau, de la soirée pyjama au wordle en passant par la sieste involontaire, alors que le personnage de Fassbender se vantait d’avoir la concentration extrême requise pour ne jamais y succomber.
Nul honneur chez cet homme, il n'est pas le Samourai de Melville ou le Ghost Dog de Jarmusch, autres merveilles sur des assassins solitaires et méthodiques qui deviennent des proies. Mais un code, qu'il voudrait être aussi rigide et pragmatique que celui d'une machine.
Ce credo d’assassin comme vu dans le jeu vidéo du même nom (son adaptation est d’ailleurs un autre rôle bien plus problématique de Fassbender) n’est mis en avant que pour être interrogé et voler en éclat face à la réalité. Le tueur ne fera qu’échouer, en ratant sa cible – échec de sa compétence supposée –, en devenant la proie et en étant pris au piège comme il piège ses cibles, en échouant à tuer sans heurt un autre, en déviant de son code par hubris plutôt que par nécessité, en n’achevant pas sa vengeance en constat de son impuissance. Il aura beau continuer de réciter son discours de motivation personnelle que ne renierait pas un post linkedin, la répétition ne fera qu’exacerber la vacuité de ces sentences. La voix-off, souvent une béquille narrative exaspérante dans un art visuel comme le cinéma, est ici un disque rayé pour être moqué.
Car peu importe le degré de sophistication du tueur, son niveau de préparation ou son adaptation aux technologies modernes, qui sont ici passées implacablement en revue dans toute leur froideur et leurs contradiction – la désintermédiation qui enlève tout contact humain, l’instantané qui ne produit que du jetable, les sécurités qui n’entravent que les innocents -, il ne saurait être meilleur ou autre que les autres, irrémédiablement humain.
Le cinéaste derrière ce discours nihiliste moqué, s’intéresse bien plus à la critique du système – le capitalisme – qui s’il permet à ce genre de monstre d’exister, ne lui permet pas de surpasser sa condition d’être « one of the many ». Le tueur fait toujours partie de la masse exploitée pour qui les conséquences d'un échec sont "automatiques" – car la caste des 0,1% est une catégorie à part – et de l’humanité – les règles qu’il s’impose ne surpassent pas sa condition d’être sentient, malgré toute sa volonté.