Après un rapide générique s'inspirant de Mannix, exposant une succession de plans brefs des gestes que peut être amené à exécuter un tueur à gages comme notre protagoniste, David Fincher se permet l'audace de nous introduire dans ce que fait, la majorité de son temps, dans le cadre de sa profession, notre personnage principal sans nom (à qui Michael Fassbender prête ses traits et sa carrure secs !), c'est-à-dire attendre. On va attendre avec lui, attendre que l'occasion se présente enfin à lui de remplir son contrat. Et pour passer un peu mieux cette attente, il nous explique, en voix-off (sans émotions, collant à merveille avec le physique de la star principale !), sa philosophie de vie, se mêlant à celle sur son métier peu banal et comment on doit avoir le contrôle sur tout, ne jamais laisser place au plus petit imprévu, à la plus petite place pour l'improvisation... Reste que même un être froid, méthodique, métronomique, calculateur et sans pitié pour quiconque (les éclairs de violence foudroient sans crier gare !), comme lui, ne peut pas avoir le contrôle sur tout et qu'il va bien être obligé d'improviser épisodiquement...
Le tout est divisé en chapitres, épurés au possible, suivant un ordre chronologique linéaire, allant à l'essentiel, chacun mettant en scène et en exergue une étape de ce qu'a entrepris notre flingueur pour parvenir à ses fins (je reste volontairement vague sur l'histoire, pour vous laisser le plaisir de la découverte, si vous le voulez bien !). Ce cheminement progressif donne lieu à un thriller lent, glacial, que la patte visuelle caractéristique du réalisateur (photographie aux couleurs désaturées, ne rechignant pas au sombre, décors propres et élégants, utilisation d'objets high-tech cadrant bien avec les autres éléments !) et la musique atmosphérique des fidèles Trent Reznor et Atticus Ross rendent plus tendu, transcendant en fait une intrigue de série B (qui n'est pas sans faire un gros coucou au cinéma de Jean-Pierre Melville !) qui, dans ses grandes lignes, est assez banale. Un mauvais cinéaste est capable de transformer de l'or en plomb (voire pire !), un bon de faire l'inverse. Fincher est un excellent alchimiste. Je n'ai pas décroché une seule seconde, je le confesse.
Les séquences d'action sont rares. En conséquence, elles n'en sont que plus impactantes. Le combat, particulièrement brutal, la plupart du temps à mains nues et avec tout ce qui tombe sous la main, est une belle preuve de la maîtrise perfectionniste du réalisateur.
Bon, tout n'est pas parfait. Il y a des aspects un peu trop maniérés dans la caractérisation du personnage. Des lunettes de soleil et un costume ostensiblement clair alors qu'on a l'air de se cailler un peu les miches dehors (vu les habits que portent les figurants !), c'est discret ça (je pense aux scènes parisiennes du début !), surtout quand la technologie (comme le souligne d'ailleurs la voix-off !) a la possibilité de scruter le moindre de nos mouvements ? Et quand on souhaite être discret, passé inaperçu, le mieux, c'est de se comporter le plus normalement possible, en ayant des interactions ordinaires avec les autres ("bonjour", "merci", "au revoir", vous savez le basique !) et non pas se prendre pour un buste de marbre, durant presque tous les contacts sociaux obligés, sans sortir un son de sa bouche. Là, ça fait trop psychopathe ayant la volonté d'être identifié comme un psychopathe. On peut être psychopathe en étant poli, bordel. Euh... un riche qui se paye une séance sado-maso avec une pute ferait tirer le rideau pour ne pas être vu, d'autant plus que le balcon de sa suite donne pleinement sur l'immeuble d'en face (ouh, la facilité scénaristique pour que le tueur puisse travailler avec moins de difficultés, que le scénariste ne se casse pas la tête à rechercher quelque chose de plus élaboré, le tout sous le prétexte d'une référence à Fenêtre sur cour !).
Mais je chipote, je chipote... La personnalité unique et fascinante de Fincher, son talent inestimable réussissent, encore une fois, à montrer combien le cinéaste peut être grand avec tous les matériaux.