En cette fin d’année 2021 où les mots « franchises », « remake », « reboot » ou autre « prequel » sont rentrés dans le langage courant du blockbuster hollywoodien, j’avoue qu’ils étaient devenus de plus en plus rares ces moments où je pouvais encore espérer m’enthousiasmer un temps soit peu de l’annonce d’un nouvel « épisode » tiré d’un énième univers déjà préalablement exploité à l’écran…
…Seulement voilà il se trouvait justement que Kingsman faisait partie de ceux-là.


Parce qu’en effet, s’il y avait bien une formule que je ne craignais pas de voir déclinée à nouveau c’était bien celle-là.
Que les deux premiers films de la franchise m’aient beaucoup plu n’est certes pas innocent dans cette approche bienveillante que j’ai à l’égard de cette « saga », mais il est à noter également que s’ajoute aussi à cela le fait que Kingsman – de par son modèle james-bondien – est typiquement le genre d’univers qui se prête particulièrement bien aux multiples déclinaisons…
…Alors étant donné le fait que Matthew Vaughn – l’auteur des deux premiers volets – était à nouveau annoncé aux commandes de cette troisième itération, j’avoue ne pas avoir bridé mon appétit. Après tout l’auteur de Kick-Ass avait déjà dévoilé tout le potentiel qu’il savait tirer d’une suite de Kingsman avec son Cercle d’or, de même qu’il avait su démontrer en 2011 avec X-Men : First Class qu’il était parfaitement capable de s’en sortir avec cet exercice délicat qu’est celui de la préquelle (puisque c’est bien de cela donc il sera question ici).
Bref, pour moi tous les voyants étaient au vert, et ce ne fut pas l’introduction de ce The King’s Man – Première mission qui entama cette solide confiance que j’avais en la franchise, bien au contraire.


Alors pourtant c’est vrai, cette introduction est loin d’être un trésor de subtilité ; j’en conviens.
Qu’il s’agisse de la situation comme des personnages, tout est tiré à gros traits et cela jusque dans les émotions qu’on cherche à susciter chez les spectateurs.
Mais d’un autre côté c’est justement là toute l’identité de la franchise : savoir jouer des archétypes. Or là, difficile de ne pas voir dans cette introduction un véritable savoir-faire narratif. Non seulement toute l’identité et tous les enjeux de cet épisode se retrouvent-ils clairement posés dès le départ, mais en plus de ça toute la démarche qui a consisté à faire de ce troisième volet une préquelle s’en est trouvé davantage justifiée.
Car c’est vrai qu’à sans cesse être conduit à marche forcée pour se faire un spectacle dense et enlevé, Kingsman péchait parfois à donner de la cohérence à tout ce fatras grandguignolesque qu’est son univers. Or en s’imposant comme un « épisode zéro » après deux volets très portés par l’esprit de l’attaque-éclair, cette Première mission allait pouvoir remettre de l’équilibre dans la narration sans pour autant ralentir le rythme effréné de cette dernière.
C’était pour le coup plutôt malin et perspicace.
Ah ça ! Cette introduction, elle me vendait du rêve…
…Si j’avais su.


Parce que sitôt passe-t-on le générique d’intro que déjà quelque-chose se grippe dans cette Première mission.
Plus l’intrigue se déroule et plus la machine se met à grincer. Quelque-chose gène ; quelque-chose que je ne suis d’ailleurs pas parvenu tout de suite à identifier.
Etait-ce lié à ce changement d’univers trop brutal ?
Avec le recul, la chose me parait évidente, ce n’est – du moins me concernant – pas du tout le cas. J’aurais presque envie de dire : « bien au contraire ».
Parce que l’air de rien il y a toujours eu plus ou moins de ça dans Kingsman. Dès le premier épisode, l’un des éléments pétillants de cet univers – qu’il empruntait d’ailleurs à son modèle bondien – était d’avoir su insérer dans un monde contemporain et réaliste des éléments fantasmagoriques d’un autre genre et d’un autre temps. C’était l’Anglais prolo à casquette qui rencontrait son homologue à costume tout droit tiré du siècle précédent, tout comme c’était le tailleur post-victorien qui rencontrait la base secrète bourrée de hautes-technologies.
Au fond, en installant son intrigue en ce début du XXe siècle, cette Première mission ne fait que changer les dosages sans rien vraiment changer aux composants.
Ici on n’aura plutôt du moderne qui viendra percuter de l’ancien plutôt que l’inverse et franchement ça marche plutôt bien.


Le problème viendrait-il donc d’ailleurs ?
Etait-ce lié dans ce cas au renouvèlement brutal du casting et des personnages ?
Là encore, me concernant, ce n’est une fois de plus pas du tout le cas. Kingsman ne mobilisant depuis le départ que des archétypes déjà présents dans une multitude d’autres films ; archétypes qu’il n’a eu aucun mal à remobiliser sans rien vraiment bouleverser. D’ailleurs ce renouvèlement fait dans la continuité se ressent jusque dans le casting : le très classe Ralph Fiennes remplace le non-moins-classe Colin Firth, le charmant et sympathique Djimon Hounsou remplace le non-moins-charmant-et-sympathique Mark Strong. Et côté minet qui-fait-le-café, Harris Dickinson prend la relève de Tager Egerton.
Et quand on constate qu’à côté de cela s’est greffée toute une série de valeurs sûres que pour ma part j’adore – Gemma Arterton, Charles Dance et Daniel Brühl pour ne pas les citer –il n’y a au final vraiment pas de quoi se plaindre.
Donc non, là-non plus, sur ce point il n’y a vraiment aucun souci me concernant.


Alors quoi ? Les scènes d’action ? La violence gratuite ? Les images de synthèse dégueulasses ?
Tout ça n’est certes pas forcément du meilleur goût – surtout en ce qui concerne les effets numériques que j’ai trouvé particulièrement moches – mais là encore rien de véritablement en rupture avec ce qui avait pu être fait auparavant.
Déjà dans Le cercle d’or certaines scènes juraient de part leurs CGI dégueulasses, mais d’un autre côté c’était compensé par beaucoup de générosité associée à quelques bonnes idées de mise-en-scène. Autant de points sur lesquels cette Première mission fait une nouvelle fois le boulot.
Et c’est un constat dont il est d’ailleurs difficile de me départir : globalement ce The King’s Man – Première mission ne se moque pas de nous. Il restitue convenablement ses standards. Il rompt dans la continuité. Il respecte sa formule…
…Mais à l’exception d’un point.
Un point qui pour moi fait finalement toute la différence.
Et ce point pour moi il tient en une chose : c’est le ton.


Car oui, au-delà de tous ces éléments sus-cités et qui font l’identité de Kingsman, il y en a un autre qu’on ne peut ignorer et qui a su faire aussi sa particularité et son charme, c’est son ton désinvolte voire même parfois limite provocateur.
Qu’il s’agisse du premier épisode ou du second, Kingsman transpirait de ce côté sale gosse propre à l’ancien disciple de Guy Ritchie, j’ai nommé Matthew Vaughn.
Cette violence parfois un brin gratuite, cette emphase formelle légèrement surappuyée et surtout ces petites pointes d’irrévérence franchement grossières, c’était aussi des marqueurs de cette saga Kingsman. Et parce que j’en imagine déjà certains en train de se demander pourquoi j’insiste autant là-dessus alors que tous ces éléments sont bien présents dans cette Première mission, je me vois dans l’obligation d'apporter une nuance qui m’apparait absolument essentielle : oui, Kingsman était désinvolte, provocateur et parfois volontairement grossier, mais tous ces points ne coexistaient pas dans le film indépendamment les uns des autres. Au contraire ils étaient tous les trois la conséquence d’un même élément présent et qui était consubstantiel des premiers opus et qui a disparu dans ce troisième opus, et cet élément c’est la satire.


Parce que oui, et pour ceux qui ne l’auraient pas vu je tiens à le rappeler : Kingsman premier et deuxième du nom n’étaient pas que des blockbusters visant à défriper un peu la formule des James Bond. Ils en étaient aussi une satire.
Satire du genre.
Satire de la formule.
Mais aussi satire du symbole bondien.
Kingsman était dans ses deux premiers épisodes une satire bondienne.


Qu’Eggsy ait été un personnage prolo n’était pas un hasard, pas plus qu’il était hasardeux qu’il ait eu à lutter contre des gamins friqués tout au long de sa formation.
Que Galahad tienne ses discours sur ces manières qui faisaient l’homme ce n’était pas anodin non plus, pas plus que le fait qu’il ait eu à s’opposer à un méchant à casquette qui zozottait et qui tenait reines et ministres à la baguette juste parce qu’il pesait capitalistiquement parlant.
Que le monde soit menacé par un simple opérateur téléphonique et que celui-ci, après avoir bien profité des ressources de la planète, décide de faire payer la note aux plus pauvres, ce n’était pas non plus de l’ordre du détail…
Si Kingsman avait posé tous ces éléments dans ces deux épisodes, c’était parce qu’ils étaient la composante d’une vaste satire.
Satire d’un siècle révolu. Satire de ce symbole d’un Royaume-Uni capable de faire survivre son autonomie, son charme, ses valeurs et ses traditions entre ces deux mastodontes qu’étaient l’URSS et les Etats-Unis.
Dans Kingsman les services-secrets ne valent plus rien, les Etats ne valent plus rien, les valeurs fondamentales ne valent plus rien. Le monde est tenu par des bouffeurs de BigMac sans culture et sans vergogne… Un monde où les héros sont les gens d’en-bas et où les grands méchants sont ces gens d’en-haut qui ont décidé de faire sécession ; ces gens qui ne sont pas en haut parce qu’ils se sont élevés comme le concevrait un Galahad, mais qui sont en haut par naissance ou par hasard.
…Et qu’on l’ait conscientisé en tant que spectateur ou pas, l’une des forces du premier opus tenait AUSSI à ça. La rupture installée par la forme n’en était que d’autant plus forte qu’elle rentrait en résonance avec un propos qui était lui-même dans la rupture ; dans le contre-modèle.


De cet élément pour moi fondamental, le deuxième film avait su en faire quelque-chose de réinventé mais tout en restant corrosif.
Seulement voilà, ce n’est clairement pas le cas de ce troisième volet.


…Et pour ceux qui se demanderaient en quoi le second opus avait su rester une satire bondienne, je les inviterais à se questionner sur ce que symbolisaient les rapports entre les agences Kingsman et Statesman. C’était certes moins subtil, mais ça avait au moins le mérite d’être là et d’enrichir l’approche qu’on pouvait se faire de cet univers tout en changeant simplement de perspective.


Parce qu’où se trouve la satire dans ce The King’s Man – Première mission ?
Dans ce Raspoutine d’opérette ?
Dans la manière guignolesque de représenter les chefs d’Etat de l’époque ?
Dans le fait de rappeler à la consanguinité des monarques anglais, allemands et russes ?
C’est un brin léger tout de même…
…Mais surtout – pire que tout – c’est grossier plutôt que grotesque.


Et là selon moi on touche au cœur fondamental du problème : la satire de ce King’s Man – première mission est tellement grossière qu’on en vient à la dissoudre totalement au profit de quelque-chose qui n’a rien à voir, la farce.
The King’s Man – Première mission n’est au fond qu’une farce, et malheureusement pas toujours au meilleur sens du terme.
Ainsi Guillaume III et Nicolas II deviennent-ils dans ce film des bouffons bien ridicules. Raspoutine se transforme en magicien danseur de break dance, quant à Gravilo Princip, Mata Hari et Lénine ils en sont réduits qu’à n’être que de simples outils au service d’une conspiration mondiale aux motivations volontairement ridicules et aux moyens jamais expliqués ni justifiés.
On en est réduit à ça : à une organisation criminelle digne de cette du Docteur Denfer dans Austin Powers et à une lecture de l’Histoire du même niveau que celui d’un Loney Tunes.
De là on quitte clairement les tons de la satire grinçante pour passer dans ceux plus basiques – et plus sages – de la blague potache.
Or ça non seulement c’est d’une part trahir la formule Kingsman mais en plus de ça c’est clairement en amoindrir la force.


Parce que le gros avantage de la satire c’est que c’est grinçant. C’est ancré dans la cruauté du réel, et c’est ce qui la rend d’autant plus acerbe.
Là, à dresser un monde de cartoon, cette préquelle de Kingsman lisse tout au point que l’ensemble finisse irrémédiablement par être dédramatisé.
La Grande-guerre ? Une farce.
La colonisation ? Une farce.
Les révolutions socialistes ? Une farce.
Du coup, sitôt le film aspire-t-il à générer des moments forts – des moments de drame – que ceux-ci se retrouvent-ils désamorcés.
Et comme s’il avait conscience des lacunes de sa nouvelle formule, Matthew Vaughn ne manquera d’ailleurs pas d’y aller à la truelle sentimentaliste pour essayer de nous tirer une petite larmichette aux moments voulus : ralentis, gens qui pleurent, musique triste…
…Or ça, c’est clairement le genre de démarche qui ne fonctionne pas sur moi.
Du tout.


A vouloir adoucir et sucrer tout son film – comme pour fuir une gravité satirique dont il ne voudrait plus (ou bien que les producteurs ou distributeurs ne voulaient certainement plus) Matthew Vaughn n’a fait qu’opérer une transition douce mais réelle du blockbuster satirique bondien à la simple farce blockbusteresque.
Ç’en est à tel point que je verrais presque davantage d’atomes crochus entre ce The King’s Man et Les gardiens de la galaxie de James Gunn plutôt qu’avec Kingsman premier du nom…
…Et ce n’est pas la manière catastrophique dont ce film gère sa posture à l’égard de la guerre ou le passage inopportun d’une chèvre équilibriste qui m’aura fait changer d’avis.
(Ceux qui ont vu le film comprendront…)


Alors soit, une farce blockbusteresque ça peut se prendre. Ça peut détendre. Et quand c’est réalisé par Matthew Vaughn et que c’est interprété par toute cette galerie d’acteurs cinq étoiles, ça peut clairement faire passer le temps. Pourquoi pas…
…Mais seulement voilà, moi je trouve ça triste qu’on en soit toujours – et de plus en plus – réduit à ça sitôt on se retrouve face à un blockbuster. Au mieux ça passe juste le temps.
…Et j’inciste : « au mieux ».


Donc bon, tant pis.
Maintenant dans la liste de ces milliers de noms de franchise qui ne m’aspirent plus d’enthousiasme du tout, je peux désormais rajouter un nom, celui de Kingsman.
Au final les bouffeurs de BigMac auront une fois de plus eu raison des rois et des princes.
Ces manières qui font les hommes sont visiblement à ranger dans les vitrines.
Ce monde appartient désormais aux vendeurs de téléphones et aux dealers de morphine…
Au fond la pire farce de ce film se trouve peut-être là…
…A n’être devenu qu’un dérivé abêtissant de lui-même.


Comme quoi on vit vraiment une époque formidable…

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le 1 janv. 2022

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