(ultra) Light my fire
Il se passe clairement quelque chose dans le cinéma de genre américain, et après une série de réussites réjouissantes (It Follows, Hérédité, The Witch), on est nombreux à attendre de voir se...
le 18 déc. 2019
140 j'aime
20
Une image, faite de nuances de gris, de blanc, de noir. Sur celle-ci, un phare, deux hommes : l’un, Willem Dafoe, look d’Achab, pipe à la gueule, la barbe broussailleuse – l’autre, Robert Pattinson, regard mélancolique et moustache d’avant-guerre, fixant au loin ce que l’on pense être la mer – sinon un navire. Ce simple plan, finalement assez anecdotique dans l’ensemble de The Lighthouse, aura suffi pour faire du second film de Robert Eggers l’un des plus attendus de l’année. En arrière-cuisine, un parti-pris palpitant : celui d’utiliser les moyens techniques des années 30. L’ambition ? On la pensait purement référentielle, elle est finalement sensorielle.
Il y a trois ans, The Witch s’inscrivait déjà dans une certaine idée du cinéma d’horreur, à laquelle Eggers semble définitivement s’identifier : outre une ambition stylistique très riche, il s’attache à un cahier des charges qu’on pourrait dire sémantique. Il y est question de l’origine de la folie, d’un certain rapport de l’Amérique à sa propre histoire et – et c’est presque le plus important – de religion. Si les films d’Eggers, malgré leurs choix artistiques si singuliers par rapport au reste de la production horrifique, sont si terrifiants, c’est parce que le metteur en scène essaie de pointer une forme originelle de la peur – une peur que la psyché des protagonistes place et matérialise dans un détroit fascinant : entre terreur cosmique et terreur intime, c’est un peu comme si Lovecraft rencontrait Shirley Jackson.
Là où The Lighthouse s’éloigne de The Witch ce serait davantage dans l’architecture de son espace esthétique : l’un comme l’autre fonctionnent à l’atmosphère, mais The Lighthouse s’articule plus dans une grammaire isolée de l’image de cinéma, jusqu’à donner à l’ensemble un parfum à l’odeur foncièrement artificielle. Chaque plan est un tableau, chaque son est une note de musique. Pas une écharde ne dépasse du parquet The Lighthouse et cela joue malgré tout en sa faveur : on perd tout repère dans cet environnement où le cinéma règne autant que Cthulhu, et cette impression de cauchemar total où le réel se mélange à l’illusion finit par être plus monstrueux que les démons eux-mêmes. Eggers semble vouloir dire mille choses différentes, avec des sous-textes qui vont du divin au crypto-gay, en passant par l’instabilité de l’esprit humain et par les vertiges existentiels d’une ligne du temps que l’on tord et retord. On s’y perd. On ne s’y retrouve pas. On finit par sombrer dans la beauté plastique et par se noyer dans ce déploiement brillant d’un registre horrifique à la fois épuré et immensément complexe. Et l’objet, lui, pendant ce temps, demeure inépuisable. Dieu est-il un phare ? La mort est-elle une île ? La folie est-elle une tempête ?
The Lighthouse saura forcément diviser de par sa naissance dans un lieu et un état hors de toute temporalité. Eggers bave des références mais arrive à ne pas étouffer son film : frappé d’un génie visuel qui en fait une œuvre d’art totale et hypnotique, porté par deux acteurs au sommet de leur art qui parviennent à élever leur jeu respectif vers une impressionnante verbosité qui en devient d’ailleurs presque animale. Le texte, lourd, abondant, et pourtant sublime, parachève cette œuvre unique : on a déjà envie d’y revenir, d’en comprendre le sens profond, d’en dépouiller les moindres trésors. Si parfait qu’il en est imparfait, si humble qu’il en est prétentieux, si complexe qu’il en est simple – The Lighthouse n’est pas encore sorti qu’il est déjà une étape importante dans le paysage cinématographique américain. Une grande frayeur, un grand manège, une grande folie… mais surtout un grand film.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Films (re)vus en 2019 et Les meilleurs films de 2019
Créée
le 25 sept. 2019
Critique lue 4.4K fois
45 j'aime
9 commentaires
D'autres avis sur The Lighthouse
Il se passe clairement quelque chose dans le cinéma de genre américain, et après une série de réussites réjouissantes (It Follows, Hérédité, The Witch), on est nombreux à attendre de voir se...
le 18 déc. 2019
140 j'aime
20
L’affluence extraordinaire laissait déjà entendre à quel point The Lighthouse était attendu lors de ce Festival de Cannes. Sélectionné pour la Quinzaine des Réalisateurs, le film de Robert Eggers...
Par
le 20 mai 2019
83 j'aime
10
Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...
Par
le 20 mai 2019
77 j'aime
10
Du même critique
USA Network n’a pas vraiment le pedigree d’une HBO ou d’une Showtime. Avec son audience vieillissante et ses séries sans prises de têtes, on peut dire que Mr. Robot ressemble à une anomalie dans la...
Par
le 5 sept. 2015
275 j'aime
16
Le nouveau film MCU biannuel est donc le très attendu Avengers 2 – et encore, c’est un euphémisme. Après un premier volet (ou était-ce le sixième ?) globalement maîtrisé dans le style Marvel Disney,...
Par
le 22 avr. 2015
228 j'aime
32
Dès sa longue introduction et son générique, Stranger Things donne le ton : on connaît cette musique, ces geeks à vélo et cette incursion du surnaturel dans le quotidien d’une campagne américaine. La...
Par
le 16 juil. 2016
195 j'aime
21