Il s'agit en ce qui me concerne du deuxième film de la courte filmographie de Robert EGGERS que je découvre, il me manque désormais son premier long métrage The Witch (2015), mais il me semble qu'on peut déjà repérer quelques points communs.


Il y a d'abord cette appropriation de mythes issus de folklores bien précis, l'image de la sorcière dans l'Amérique puritaine du 18ème siècle dans le précédemment cité "The Witch", la culture viking et ses légendes dans The Northman (2020) ou ici les figures légendaires des mythes marins.


Un autre aspect qui m'apparait comme singulier et propre à sa réalisation réside dans une recherche esthétique, une direction artistique, un travail sur l'image qui semble systématiquement prendre le pas sur toute autre considération, avec le risque d'un résultat certes sublime mais vain, le risque d'un film qu'on prend plaisir à regarder d'un point de vue sensoriel mais dont on se demande à la fin ce qu'il va rester, quelque chose qui m'avait quelques peu laissé de côté en ce qui concerne "The Northman".


Le film débute sans s'embarrasser de superflu, plongeant le spectateur directement dans son décorum, ce phare isolé, figure spectrale séparé de la terre des hommes par les flots rageurs et la brume qui vient créer visuellement la barrière physique qui viendra faire de cet îlot rocheux l'ultime frontière d'où naitra le conte, le mythe, l'histoire que l'on s'apprête à voir se dérouler sous nos yeux. Celle de deux hommes contraints de cohabiter dans ce lieu sans échappatoires, le vieux briscard face au jeune loup, la force de l'âge face à la force de l'expérience, celui qui a foi face à celui qui doute, pulsion de vie face à pulsion de mort, ombre et lumière, Janus plongé dans le monde de Neptune.


Choisissant pour son cadre un format carré, qui accentuera l'effet d'emprisonnement que confédère cette situation géographique. Robert Eggers avec le concours brillant de son chef opérateur construit une image en noir et blanc, qui se caractérise par une force dans les contrastes et les jeux de lumières et d'ombres qui font écho à la fonction première du lieu, à savoir délimiter les contours d'une côte déchiquetée tout en maintenant à distance de celle ci les navires qui sillonnent la zone et dont la présence fantomatique n'est jamais perçue autrement que par les cornes de brume.


Il y a également un énorme travail sur le son, la mécanique grinçante du système général, les bruits organiques assourdis par le fracas des vagues, les rares conversations étouffées dans le vent sifflant, éructant, un dispositif qui à l'instar de la photographie concoure à installer un climat de fin du monde ou plus exactement le climat d'un lieu maudit des divinités, piégeant les hommes condamnés à y séjourner séparés du monde des vivants par un Styx aux eaux sombres et furieuses.


Effectivement si dans sa première partie, le film opère sur moi comme l'avait fait "The Northman" c'est à dire que je suis enthousiasmé par le rendu visuel, cependant je crains d'à nouveau avoir mon expérience de cinéma quelque peu entachée par l'absence de propos, d'une fois de plus être face à un très bel objet mais d'une vacuité problématique.


Néanmoins par de subtils détails qui d'abord paraissent anodins, on pressent dans cette étrange relation entre ces deux hommes qui nait de l'obligation qu'ils ont d'être là, quelque chose de l'ordre de l'aliénation, et petit à petit les pistes se brouillent. C'est en arrière plan l'un des deux qui s'évanouit d'un cadre de porte en un battement de paupière, obligeant à se demander s'il était bien là ou si notre imaginaire nous joue des tours, c'est le cauchemar de l'un qui correspond au souvenir pénible de l'autre, il en va ainsi de plusieurs éléments, placés ça et là, comme autant de clefs qui du réel ouvriront les portes du fantastique, un fantastique glaçant, effrayant mais qui attire inexorablement à lui.


L'alcool qui coule à flots, la violence qui s'installe, les comportements erratiques qui se multiplient et toujours cet endroit qui parait participer de l'aliénation, qui parait exister dans une autre réalité, car nous on sait que par définition les côtes et donc le monde ne sont pas loin et que cet isolement entrave plus la volonté que réellement le physique, et dans un second acte la folie enfin se fait jour et les interrogations aussi. Sont ils vraiment deux ici à ce moment en cet endroit ? L'un des deux n'est il pas le fruit de l'imagination de l'autre ? Ce passé qu'on veut cacher n'est il pas le refus mental de son existence ? Et alors telle l'eau omniprésente s'insinuant partout, suintante, stagnante, déchainée, coléreuse, protéiforme comme la folie qui explose et qui s'incarne dans cette sirène piégeant l'âme, ce Kraken tentaculaire, cette mouette anthropophage ou ce Neptune monstrueux, le mythe se crée sous nos yeux et s'inscrira désormais dans une mémoire universelle, à nous dès lors d'y croire ou pas, de le craindre ou de l'ignorer.

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