Il y a des oeuvres qu'on a envie de défendre contre la mauvaise interprétation qu'on en a fait , des oeuvres dont la subtilité doit être sauvegardée, protégée de toute tentative de dévoiement.
The Little Stranger est de celles là, qui mérite bien mieux que les reproches qui lui sont faits par ici, à grand coup de critiques assassines et caricaturales , sans doute autant par ignorance de ce qu'est le genre fantastique que par le mauvais goût induit par l'exploitation outrancière du dit genre par l'industrie cinématographique.
Car que reproche t'on à ce film finalement ? Sans doute pas l'excellence de l'interprétation, en tous points dignes d'éloges, qui nous permet de cerner admirablement les différents personnages, ( chapeau bas à Ruth Wilson qui défend remarquablement son personnage de personne sans charme et qui n'est pas dupe de l'attirance qu'elle exerce sur le Dr Farraday, personnage froid et coincé lui aussi magnifiquement interprété par Domhnall Gleeson) qui ne nous offrent pas les habituelles et tristes caricatures des sempiternels héros de ''Films à Jump Scare'', stupides et convenus. On a là des personnages riches , adossés à une réalité sociale prégnante et même centrale au traitement du film (ce que n'ont pas compris ses détracteurs, obnubilés par la recherche d'effets faciles, ce qu'entend justement éviter l'équipe du film).
Si la subtilité du scénario peut laisser certains insensibles, tout à leur recherche des plaisirs pervers de la violence et du gore, si commune aux soi disant défenseurs de l'orthodoxie vénéneuse et infantile du cinéma fantastique dit '' d'horreur'', ils pourraient au moins rendre hommage à l'impeccable photographie, à l'excellence de la mise en scène, qui concourent remarquablement à sa grande qualité et à son impeccable intégrité . Chaque scène se voit magnifiée, son sens sublimé par une couleur, une photographie, une science du cadrage qui renforce précisément l'intégration de chaque élément dans la globalité de l'oeuvre . Ainsi chaque scène mettant en scène le médecin adulte le présente dans des décors sombres ou hivernaux qui contrastent avec la chaleur et la luminosité des flashbacks de son enfance.
C'est ce qu'on appelle l'art de la mise en scène, qui n'a rien à voir (et est même plutôt antinomique) avec la recherche des jumps scares et autres rebondissements feuilletonesques dont nous abreuve le cinéma de genre depuis de trop nombreuses années.
Car si ce film est remarquable, c'est qu'il renoue avec une grande tradition du film de fantômes de l'âge d'or (du "" Tour d'Ecrou"" de Jack Clayton à la ''Maison du Diable'' de Robert Wise) : son recours à l'ambiguïté.
Jamais nous ne saurons le fin mot de l'histoire, jamais nous ne serons certains de ce que nous avons vu : une histoire de fantômes ou la mise en scène des névroses des personnages. Une seule chose est certaine, c'est la prépondérance des rapports sociaux, ou mieux encore des rapports de classe qui peuvent expliciter le film (même si le réalisateur, décidemment malin, refuse de trancher et laisse ouvertes toutes les interprétations, et elles sont nombreuses, quatre pour ma part, je ne vais pas les expliciter bien sûr, car ici on ne spoile pas ).
Et c'est évidemment ce choix du clair obscur, du double sens, qui a surpris le public, à qui on a vendu un film d'horreur, ce qu'il n'est pas du tout, et qui loin de flatter les instincts les plus régressifs des amoureux du gore et de l'esbroufe, essaie de nous amener à réfléchir sur le côté sombre de la psyché humaine, la prégnance de l'inconscient et l'emprise absolue des rapports sociaux de classe sur notre comportement.
PS : il est, rarement, des films dont on estime qu'ils n'ont pas eu le succès qu'ils méritent, et dont on espère qu'ils feront l'objet, avec le temps, d'une révision à la hausse de leurs grandes qualités, quand la hype d'autres produits de grande consommation, et infiniment plus médiocres, remporte un succès aussi immérité qu'éphémère.
Ce film est de ceux là, et j'espère qu'il sera un jour réhabilité et apprécié à sa juste valeur, qui est grande. J'espère, pour le coup, être un oracle efficace et donner envie à certains de le voir et de l'apprécier, il le mérite.