Rares sont les cinéastes à pouvoir se targuer d’une filmographie à la fois aussi longue dans le temps et homogène sur le fond comme sur la forme. Le cinéaste britannique Ken Loach, chantre et porte-parole des classes sociales les plus pauvres, des démunis et des luttes contre les inégalités sociales fait partie de cette catégorie. En plus d’un demi-siècle de carrière derrière la caméra, le metteur en scène n’a pas changé d’un iota sa feuille de route artistique: une réalisation au plus proche du réel, avec souvent des acteurs non professionnels, et toujours des thèmes éminemment sociaux et/ou historiques quasiment toujours en rapport avec son pays natal. Il n’y a qu’à voir ses deux Palmes d’or (et oui il fait partie du club très fermé des doubles récipiendaires de la récompense suprême de Cannes pour s’en convaincre) : d’un côté le film d’époque « Le Vent se lève » sur le combat des irlandais contre l’invasion anglaise et de l’autre le magnifique « Moi, Daniel Blake » sur un homme qui se bat financièrement pour tenir sa famille à flots. Le prolifique réalisateur nous offre ici avec « The Old Oak » un opus certes mineur et empli des défauts les plus récurrents de son auteur sans pour autant être dénué de charme, de coffre et d’émotions.
Ici, il est question d’immigration avec des réfugiés politiques syriens qui débarquent dans un petit village sinistré économiquement du fin fond de l’Angleterre avec les scissions entre les habitants que cela implique, entre réfractaires plus ou moins marqués et habitants plus accueillants comme T.J. le patron du pub qui donne son nom au film. Avec Loach aux commandes d’un tel sujet, il est clair qu’il ne fallait pas s’attendre à un traitement toujours juste et objectif mais plutôt partisan. Et on ne lui en voudra pas, c’est son cheval de bataille tout comme des convictions profondément ancrées en lui. Cette vision empathique, humaniste et pleine d’altruisme des plus malheureux est en effet indissociable de l’indéboulonnable réalisateur. Alors forcément la peinture de ces immigrés pourrait tout aussi bien être réaliste dans le meilleur des cas qu’idéaliste si on lui oppose certaines actualités récentes. De la même manière, il a tendance à enjoliver un peu trop la vie en communauté ou, à l’inverse, à noircir le racisme primaire de ses congénères (quoique...). C’est donc par le biais d’un filtre quelque peu manichéen qu’on suit « The Old Oak », mais c’est aussi une vision pacifiste qui fait du bien malgré le déferlement de pathos final un peu trop poussif.
Cependant, on ne peut nier que Loach est toujours un aussi bon raconteur d’histoires et un excellent directeur de comédiens, notamment ceux amateurs ou non professionnels. Tout transpire le vrai dans ses dialogues, dans les gestes et les situations qu’il met en scène. Et le personnage principal joué par Dave Turner est passionnant. D’ailleurs, le comble dans « The Old Oak » c’est que l’on s’intéresse finalement davantage à celui-ci qu’au propos général du long-métrage. Son portrait d’homme brisé et généreux est impeccablement brossé et on s’attache beaucoup à lui et à son passé. Rien que la scène où il perd son chien nous brise le cœur. On entre donc dans ce film comme on entre dans des chaussons, on sait ce qu’on va voir et la manière dont tout sera dépeint. Il y a bien sûr les scories habituelles de son auteur, cette fois un peu trop marquées, mais aussi tout ce qui fait qu’on l’aime : un cinéma nécessaire, fort et qui défend ceux que l’on n’entend jamais.
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