Pourtant on m’avait prévenu mais j’avoue que j’ai eu du mal à y croire.
Comment ce Son de Florian Zeller a-t-il pu finir aussi éloigné de son précédent Father ?
Dès les premières minutes, rien ne va.
« Kate ? Mais que fais-tu ici, toi mon ex-femme ?
– Désolée de te déranger dans ta nouvelle vie parfaite, Peter, mais il faut que tu saches que ça ne va pas avec notre fils, Nicholas…
– Comment ça, ça ne va pas ?
– Il a séché le lycée depuis un mois. Il est bizarre.
– Comment ? Ça ne va pas avec Nicholas ? Mais je ne suis pas sûr d’avoir vraiment compris, Kate. Pourrais-tu me le redire une deuxième fois en développant et en surjouant encore plus l’angoisse s’il te plait ?
– Peter, je ne sais pas ce qui se paaaaaasse avec Nicholaaaaas. (Huhuhuhuouinouin…) Je suis inquièèèèète. Son proviseur m’a appelée ce matin à 7h58. Je me suis rendue compte que notre fils nous avait meeeenti depuis tout ce temps. (Huhuhuhuouinouin…) J’ai essayé de communiquer avec lui mais je n’y suis pas arrivée. Il est bizaaaaaaaarre. Snif. Il me fait peeeeeur, Peter ! Tu entends ?! La nuit je vois des gens qui sont mooooorts !
– Kate… Pourrais-tu me le redire une troisième fois en développant ENCORE davantage et en surjouant encore plus s’il te plait ?! »
Sincèrement, j’ai trouvé ça ahurissant.
Tout fait toc. Les décors. Les acteurs. Les dialogues.
Ce brillant avocat tout lisse qui travaille dans son cabinet tout lisse et qui compte faire de la politique toute lisse fait toc. Ce couple Jackman / Kirby tout bourgeoiso-choupi fait toc. Même cet ado fait toc.
Non mais franchement, est-ce qu’on prend juste deux minutes le temps de parler de cette scène où Peter – à qui la vie sourit dans toutes ses nuances de gris – se décide à aller parler, comme promis, à son gentil fiston ?
« Eh Nicholas, c’est papa. Est-ce que je peux rentrer histoire de discuter un peu ?
– Euh… Oui bien sûr…
(Les deux personnages se déplacent sur le plateau de l’autre côté de la porte en carton. Peter s’assoie subtilement dans un fauteuil tel un patriarche tandis que son fiston, pour une raison obscure, reste immobile comme un piquet en attendant la sacro-sainte discussion avec daddy.)
– Alors, ta mère me disait que ça n’allait pas ?
– Non, pas trop.
– Mais qu’est-ce qui ne va pas ?
– Je ne saurais te dire, rien ne va…
– Allons Nicholas – tu es décidément bien le fils de ta mère ! – tu ne pourrais pas être plus clair et plus expressif s’il te plait ? Moi j’ai besoin d’une voix chevrotante pour comprendre ; j’ai besoin d’un listing Wikipédia de signes de dépression de l’adolescent pour que je comprenne bien ce que tu m’annonces. Alors s’il te plait, fais un effort…
– Papaaaa… (Huhuhuhuouinouin) Je ne sais pas coooomment te diiiiiire que je m’eeeeen vaaaais… La vie toute entière m’est devenuuuuue insuppooorrrtableeuuuu !
– Woh woh woh Nicholas… Du calme. Je t’ai demandé du détail là, pas du spoil. Le film n’a commencé que depuis un quart d’heure tu sais et il faut qu’on tienne encore comme ça pendant une heure et demie.
– Ah bah oui mais comment je fais ça mooooiii ? Florent Zeller n’y connait manifestement rien à la psychologie de l’adolescent et du coup il n’a rien développé en moi à part ces phrases à la con du type "ça va pas","c’est la vie qui me pèse" ; ou bien encore "c’est toi qui me mets la pression dad’ mais tu refuses de le voir". Alors je fais comment moi ? (Huhuhuhuouinouin.)
– Tututut ! Pas de spoil j’ai dit. Là pour le moment je dois paraitre comme le père idéal, donc ne commence pas à balancer le twist !
– Mais daddy ! En même temps tu n’es défini dans le scénar que par deux points : tu as voulu refaire ta vie pour qu’elle corresponde au parfait modèle de la bourgeoisie sans âme et tu n’arrêtes pas de me gonfler avec le lycée et les études. Les spectateurs ils ne sont pas cons tu sais, ils connaissent le principe du fusil de Tchekhov… Tiens d’ailleurs je vois que tu as un fusil là ?
– Popopopo ! Ne détourne pas la conversation tu veux… On parlait de ton mal-être mal développé là, alors reprenons sur ce point tu veux…
– Mais je sais pas quuuuuuuoooooi dire mooooa à part que ça vaaaa paaaaas ! (Huhuhuhuouinouin…)
– Voilà ! C’est bien ça ! Allez répète-le une bonne dizaine de fois en faisant des petits tours au milieu du set là… Ça, ça fera très contrarié et ça peut bien nous durer encore cinq minutes… Parce que oui, désolé, mais je ne peux pas rester plus longtemps, il faut ensuite que je rentre chez moi pour installer de manière très claire et évidente avec ta belle-mère une tension entre mon rôle de père à ton égard et mon rôle de père à l’égard de mon nouveau fils… »
Non mais pitié ! Abattez-les tous qu’on en finisse…
Chaque scène… Chaque scène est comme ça.
Ce film dispose pourtant d’un Hugh Jackman et d’une Laura Dern hein… Mais non, à chaque fois il faut que l’écriture décide de tous les chausser avec des gros sabots. Et ça se ressent à tout instant.
Par exemple quand vient le moment où Peter rentre chez lui pour retrouver sa nouvelle femme et que celle-ci lui demande qu’on lui raconte la scène que, nous spectateurs, on vient à l’instant de voir, la réaction de Peter est la suivante. D’abord il commence par dire : « Tu l’aurais vu Beth, il était si… » …Puis soudain il s’arrête, serrant ses mains sur le plan de travail de sa cuisine, retenu par un nœud manifeste dans sa gorge…
A ce moment là je me suis dit qu’enfin les choses allaient peut-être commencer à se remettre à l’endroit. Pour la première fois on ne s’étale pas. On laisse le jeu d’acteur exprimer à la place des mots. Pour la première fois la maitrise de façade du personnage de Peter se fissure pour révéler – mais pas trop – le malaise intérieur…
…Mais bon, à croire que c’était trop espérer puisque l’illusion ne tiendra que deux secondes.
« Aaaaaah Beeeeth ! Il était si fragile ! Je me sentaaaaais si impuuiiiiissant ! Cela m’a détruit de l’intérieur car tu comprends c’est mon fils ma bataille OoOoOh ! »
Mais putain ta gueule, Peter ! Ferme ta gueule !
J’avais compris ! Je ne suis pas con ! Arrête de répéter sans cesse ce qu’on sait déjà ! J’ai vu la scène avec ton fils ! Vous n’avez jamais cessé tous les deux de tourner en rond pour redire sans ceeeeesse les mêmes putain de choses ! Et là tu nous re-racontes une fois de plus la totalité de la scène ! Non mais merde à la fin !
Ce film ce n’est que ça ! Une fois qu’on a fini une boucle, on glisse une petite variation et on repart pour un tour !
Variation n°1 : et si je prenais Nicholas à la maison ?
« Nicholas ! Voici ma maison ! Voici ta belle-mère ! Voici ta chambre ! Allez ! Va au lycée maintenant ! Tu sais à quel point tes études sont importantes pour moi alors ne sois pas un boulet, ne me déçois pas, ne loses pas !
– Oui papa !
Drrrrriiing !
– Oui allô ?
– Oui bonjour, c’est le proviseur de votre fils. Désolé de vous déranger à 7h58 du matin mais c’est pour vous signaler que Nicholas ne s’est pas rendu au lycée depuis un petit moment et…
– Nicholas ! Viens ici ! Pourquoi tu n’es pas allé au lycée ?
– Papaaaa ! Ça vaaaa paaaaas !
– Roh mais qu’est-ce qui ne va pas à la fin ?
– Laaaaaa viiiiiiiiiiie ! »
Variation n°2 : et si je tentais de tisser du lien avec Nicholas ?
« Eh Nicholas ! Viens il faut que tu pécho de la meuf. Je vais t’apprendre à danser.
– Ha ! Ha ! Papa t’es trop drôle !
– Ho ! Ho ! Tiens je te balance du pop-corn dans les cheveux !
– Maaaaieeeeuh papa ! C’est si marrant !
– Bon sinon Nicholas, et si on reparlait de tes études ?
– Naaaaaaaaaan ! Papaaaaaa ! Ça vaaaa paaaaas !
– Mais pourquoi donc enfin ?!
– Parce que la vie ! La vie ! La vie ! La vie ! …Et voiiiiiciiii laaaaa viiiiie !... »
Le problème c’est que tout ça est tellement mécanique qu’on voit parfaitement où le film veut en venir. Et l’autre problème qui vient se greffer sur le précédent, c’est que ça met des plooombes à y arriver ! On a envie de dire : « mais accouche merde ! »
Alors forcément, autant dire que dans, de telles conditions, quand le point d’orgue final a pointé le bout de son nez, moi j’ai soupiré…
…J’ai soupiré parce que ça a été amené de manière tellement pachydermique, artificielle, pas crédible, que c’était trop pour moi…
…Et c’est dommage parce qu’il y avait vraiment quelque chose à faire avec ça !
Ce qui est terrible c’est que c’est à partir de ce moment-là – au point d’orgue final – que pour la première fois de la séance, j’étais curieux de ce qui allait advenir à l’écran.
C’en était même à un point où je me suis demandé pourquoi le film n’avait pas cherché à poser cet élément final en élément perturbateur venant lancer le cœur d’intrigue. Parce que sitôt prend-on en considération tout ce temps qui a été perdu à brasser du vent avec des personnages peu développés et des situations plutôt basiques, qu’on se dit franchement que ce film aurait pu creuser plus loin…
Seulement voilà, non seulement il a fallu que le seul moment potentiellement intéressant de ce The Son se retrouve en conclusion du film, mais en plus il a fallu que – telle une triste cohérence d’ensemble – cette conclusion soit une nouvelle fois totalement plombée par la balourdise de l’écriture de Florian Zeller.
Jusqu’au bout ce film aura fait les choses au plus mal. C’est sidérant…
…D’autant plus sidérant quand on se dit que l’auteur de ce The Son est le même que celui qui a fait à peine deux ans plus tôt The Father.
Toutes les clefs qui manquent à ce The Son SONT dans The Father !
Quand dans The Father il s’agissait de signifier la perdition du personnage d’Anthony liée à sa vieillesse et son Alzheimer, Zeller ne s’était alors pas réduit à faire réciter une complainte à Anthony Hopkins sur ce qu’il voyait et ressentait. On n’a pas vu à l’écran Anthony en train de chouiner : « Aaaah mais je ne reconnais même plus ma fille ! Je ne suis même plus sûr que ce soit elle !
Ah que c’est perturbant ! Aaaah la viiiiie ! Ah la vieiiiilleeeesse ! »
Non. Au lieu de ça , The Father changeait régulièrement d’actrice pour incarner la fille d’Anthony, de la même manière qu’il multipliait les arcs narratifs alternatifs, et cela sans nous annoncer ce qui relevait du vrai, du faux ou du fantasmé par l’esprit d’Anthony, etc.
Le film n’a pas verbalisé son intention, il l’a fait sentir en utilisant les techniques narratives propres à cet art là. C’est ça le cinéma !
Comment on passe de The Father à The Son comme ça ?
Comment on peut en arriver à ce point à en oublier ses fondamentaux ?
Que s’est-il passé ? Un coup de chance sur The Father ? Un coup de moins bien sur The Son ?
…Ou bien sont-ce les quelques Oscars reçus pour l’un qui ont fait perdre à Florian Zeller le recul critique nécessaire pour le second ?
Zeller s’est-il soudainement persuadé que tout ce qu’il faisait devait forcément être génial et qu’il n’y avait plus à réfléchir et questionner sa prose comme ses effets ?
…Ceci expliquerait peut-être le fait qu’à un moment de ce The Son on se retrouve avec le passage random d’un jeune personnage français dont on se contente juste de dire qu’il est brillant pour ensuite ne plus jamais l’utiliser…
...Est-ce qu’on en est à ce niveau d’ego là ?
En tout cas, au final, le résultat est là.
The Son est un film qui m’a affligé quand The Father m’avait bouleversé… Et pourtant entre les deux films un même homme ; un même auteur : Florian Zeller.
C’est triste à constater mais c’est comme ça. On aura beau chercher toutes les explications possibles à ce naufrage artistique, ce qui est fait est désormais fait et on ne pourra plus revenir dessus.
Reste juste à espérer qu’après ça, ce qui se dira de ce The Son saura faire dégonfler les chevilles de Florian Zeller, et qu’avant qu’il ne lui prenne l’idée de se lancer dans un troisième métrage baptisé sobrement The Holy Spirit, il sache redescendre de son nuage pour se rappeler à sa rigueur oubliée…