C’est ce qui s’appelle un sacré uppercut de cinéma. De ceux qu’on voit peut-être deux ou trois fois toutes les décennies. Voilà ce que nous offre la frenchie Coralie Fargeat pour son second film après le survival sympathique mais pas extraordinaire "Revenge ». Elle nous prend donc de cours avec son nouveau film laissant apparaître son premier comme un galop d’essai, une séance d’entraînement où elle laissait néanmoins déjà transparaître son amour pour le sang et la violence extrême par le filtre du film de genre. Avec « The Substance » elle rend justement son œuvre plus substantielle puisque derrière les oripeaux d’un film choc et gore, elle nous gratifie non seulement d’une leçon de mise en scène mais aussi d’une métaphore satirique et féroce sur un sujet à la fois moderne et féministe. Et nous assène ainsi une claque cinématographique, un choc de septième art comme on n’en avait pas vécu, dans le genre, depuis « Requiem for a dream » il y a près de vingt-cinq ans!


C’est bien simple dès les premiers plans, on sent la maestria de son savoir-faire. D’abord un plan sur un jaune d’œuf (le jaune sera un code couleur récurrent du film ajoutant à la cohérence graphique de l’ensemble) pour nous teaser la teneur du concept de la substance du titre avec une simplicité et une efficience qui confine à l’évidence. Puis, un autre plan fixe sur une étoile du fameux Hollywood Boulevard va cristalliser tout le fond de son script ainsi que les carrières de milliers de starlettes, chanteuses et actrices féminines à Hollywood. Un plan d’une intelligence rare, complètement objectif sur la manière dont le star system broie ses actrices avec le temps tout autant qu’une mise en bouche synthétique et concise de tout ce qui va suivre. Idem, lorsque Elisabeth, le personnage principal, décide de céder à l’utilisation de ladite substance pour rajeunir, sa représentation et son utilisation sont d’une logique cinématographique et descriptive indéniables. Car ce procédé et ce produit sont l’allégorie du recours (et de la déliquescence) à la chirurgie esthétique à outrance et des diktats concernant les canons de beauté féminins. En matérialisant cela avec son idée géniale, Fargeat emballe tout un pan des démons féminins dus au jeunisme rongeant la plupart des femmes, notamment et surtout dans le show business.


La magnificence de « The Substance » vient aussi du fait qu’aucune scène n’est en trop malgré les plus de deux heures du film. Le concept est aussi simple que tordu mais tout semble calculé, millimétré sur chaque coin de la pellicule et la cinéaste presque débutante nous offre une maîtrise de l’art du cinématographe aussi bien sur le fond donc que sur la forme. Chaque plan est minutieusement étudié et en adéquation avec le propos. Entre les séquences en mode clip eighties, le délire psychotrope, les cadrages à la Fincher des débuts dans ses meilleures idées, les outrances calculées ou encore les saillies gores lorgnant vers le body horror à la Cronenberg - dont le film se réclame parfois - tout est parfaite organisation stylistique pour un monument de cinéma presque parfait et qui se positionne clairement comme LE film d’horreur de l’année. Unique, incandescent, choquant, troublant et radical. Les focales, les cadrages et les bruitages (la bande sonore est incroyable) sont étudiés à la perfection et jamais ostentatoires tout comme le montage en crescendo. Tout cela est au diapason d’une proposition de cinéma définitivement incroyable.


Pour se glisser dans la peau du personnage de cette actrice vieillissante qu’on pousse vers la porte de sortie, il fallait trouver la perle. Une actrice dont la carrière colle aussi bien au rôle que son physique. Et en allant chercher Demi Moore (la méga star sexy des années 90 à égalité avec Sharon Stone) qu’on n’avait pas vu depuis une dizaine d’années dans un rôle vraiment mémorable voire un rôle tout court, Fargeat a trouvé la comédienne idéale. Moore fait un retour fracassant et donne tout dans un rôle tellement extrême qu’on aimerait la voir nommer aux Oscars même si « The Substance » peut se classer dans le film de genre, même si réflexif et pointu, que n’affectionne pas particulièrement l’Académie. En tout cas, elle le mériterait. Pour son pendant jeune, Margaret Qualley explose littéralement et phagocyte l’écran. La jeune actrice confirme son potentiel de charme et de jeu déjà découvert dans la série « Maid » ou chez Lanthimos. Elle ira loin. Enfin, petit bonus : on est content de voir Dennis Quaid loin de ses films religieux ou républicains (ou de séries B de seconde zone) dans un rôle caricatural de bouffon dont il se délecte et avec lequel il nous régale. En totale roue libre mais en complet accord avec son personnage azimuté.


Le fond de l’histoire est ouvert à multiples interprétations même si les ravages de la chirurgie esthétique chez les stars matures, la dictature de la perfection physique et les sempiternerls hommes libidineux sont clairement visés par une charge féministe très forte et calculée. « The Substance » est un film monstrueux sur tous les plans et il va parfois falloir accrocher son cœur et sa ceinture tellement c’est gore mais justifié. On a même droit à des séquences clairement répugnantes et difficiles à supporter. Et quand on pense que tout cela est terminé, Fargeat ose un « ça passe ou ça casse » avec un dernier acte extrême et totalement renversant qui en laissera peut-être de côté par son aspect jusqu’au-boutiste, presque volontairement ridicule, tout en convoquant « The Thing » de Carpenter et « Carrie » de De Palma pour un grand huit d’horreur à la Trauma. Chapeau aux maquilleurs d’ailleurs (et aussi aux décorateurs pour la singularité des lieux du choc). Cette partie pourra laisser cours à diverses interprétations mais elle a le mérite d’être osée, radicale et clivante. Et « The Substance » de se terminer sur une dernière séquence en miroir de l’une des premières : d’une évidence logique et imparable achevant ce long-métrage démentiel et complètement dingue de manière imparable. Un véritable chef-d’œuvre qui en fera fuir certains (c’est certain) et en ravira d’autres. C’est aussi ça le propre du cinéma et Coralie Fargeat a gagné ses titres de noblesse d’immense cinéaste en un film laissant la Julia Ducornau de « Grave » et surtout du surestimé « Titane » sur le bas-côté. Bravo et chapeau bas madame!


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JorikVesperhaven
10

Créée

le 17 sept. 2024

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16 j'aime

Rémy Fiers

Écrit par

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