En 1975 sort Frissons de David Cronenberg. Premier long métrage hors film d’étude du maitre Canadien, cet œuvre va définir le genre et érigé son auteur au rang de maitre du « body-horror ». Cronenberg pose donc les bases pour des décennies d’exploration de la thématique, beaucoup par lui-même et parfois par d’autre aventurier tel Carpenter avec The Thing (1982) ou plus proche de nous Pascal Laugier avec Martyrs (2008). Si l’évolution d’un genre cinématographique se fait toujours à la croisée des chemins entre ces mêmes genres et des influences venues d’autres mouvement, c’est en 2024 qu’un ovni « made in France », né d’une rencontre entre body horror, le mythe de Dorian Gray et une crise de la cinquantaine va voir le jour.


The Substance de Coralie Fargeat arrive donc sur la croisette comme un boulet de canon au mois de mai (ou plutôt comme une boulette de viande). L’histoire d’Elisabeth Sparkle (Demi Moore), ancienne gloire de la télévision jugé trop vieille par son producteur pour pouvoir animé des cours d’aérobique télévisés va se voir proposé une opportunité de traitement médicamenteux lui permettant d’obtenir une meilleure version d’elle-même (c’est-à-dire plus jeune, jolie et sexy) une semaine sur deux à condition que soit suivi à la lettre le programme. Cherchant à se défaire de l’image que les hommes lui donne d’elle-même, Elisabeth prendra la décision de démarrer la prise de la Substance et de donné naissance à Sue (Margaret Qualley) qui sera son alter égo pour retrouver une confiance en elle enlevé par le regard des gens.

Le thème principal du film, le sujet au cœur du récit c’est évidemment le corps. Le corps comme objet de désir, de dégout, de rejet, de malaise et malheureusement de débat lorsqu’il s’agit du corps d’une femme dans un monde d’hommes. Il est tout à fait notable et important de dire que Coralie Fargeat est une femme de 48 ans qui au travers de ce récit parle d’un certain vécu. Le choix de Demi Moore est absolument parfait tant elle incarne la star ultime et le sex symbol d’une époque, critiqué pour s’être exposé en bikini à 40 ans dans Charly’s Angels (2002) et qui est aujourd’hui une femme de 62 ans. La thématique est portée à merveille par l’actrice qui, à deux reprises lors de scènes face à un miroir nous bouleverse tant elle incarne la détresse et la détestation de soi. La solution curative serait donc d’usé de la substance pour donner naissance à Sue avec qui Elisabeth ne doit jamais oublier « qu’elle n’est qu’un » qui devrait lui permettre de retrouver son ancienne vie en redevenant désirable aux yeux des hommes qui dirigent (le monde) la société de production pour laquelle elle travaille.


Le médicament n’est donc pas la substance, mais plutôt d’être une semaine sur deux dans le corps d’une jeune femme absolument magnifique. Regagner de la confiance en soi en se sentant à nouveau désirable car jeune et jolie. La mise en scène cyclique et scindé selon le rythme des 7 jours permet un crescendo très intéressant jusqu’à un inévitable point de rupture. Cependant, les éléments de mise en scène outranciers, tel que l’utilisation abusive de cut ainsi que l’iconisation du corps de Sue par des courtes focales sur ses courbes n’aident pas le film dans sa démarche. La froideur des décors et le côté factice du Los Angeles du récit est justifiable par la nature même du film, le body-horror est un genre de cinéma fantastique, qui n’est encré dans aucune réalité. Néanmoins la problématique profonde de ce film est à ce point réelle qu’elle est transposable à une majorité de spectateur(ice)s qui iront dans une salle pour voir le film. Le poids du regard des gens est un sujet bien réel alors que faut-il comprendre du rapport à la nourriture dans le film, presque utilisé comme une arme face à la toute puissante beauté de Sue.


Le bémol reste tout simplement que si Fargeat traite de sujet profond avec un amour de son médium inconditionnel, elle n’ajoute pas la dose de subtilité qui nous amènerai certainement vers un film bien plus clair, qui n’atteindrai pas nécessairement les 2h20 par exemple. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que l’un de ses films préférés n’est autre que Requiem for a dream (2001) du maitre de la finesse Darren Aronofsky.


Il faut tout de même rendre à Coralie ce qui lui appartient, et il s’agit bien évidemment de son courage d’aller au bout d’une telle idée. Le dernier acte du film transpire d’amour pour le cinéma de genre, le gore et la fabrication d’œuvre. Elle qui a écrit le scénario à en plus co-produit le film pour garder la main mise sur la post-production et même précédemment pour que le tournage est lieu en France, avec une équipe qu’elle connait. Lorsqu’un cinéaste prend sept ans pour faire un film, c’est qu’en général un travail de fond est effectué pour atteindre un objectif clair, et ici c’était de nous pondre un grand guignol-gore-féministe de 2h20, avec 17,5 millions de dollars et qui ira tranquillement gagner le prix du meilleur scénario à Cannes en 2024. Malgré quelques maladresses, vous ne verrez rien de comparable cette année, et potentiellement l’année prochaine non plus.


Gal-Bickle
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le 7 nov. 2024

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Gaël Bickle

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