Elle en pire
Elisabeth Sparkle (Demi Moore) ne fait plus rêver. Son corps se fissure un peu plus chaque jour sur Hollywood Boulevard. Une étoile sur le Walk of Fame qui ressemble désormais aux scènes fanées d'un...
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le 10 oct. 2024
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Comme Dorian avant elle, Lizzie Sparkle accepte de constituer un double d'elle même afin de rester éternellement jeune et belle. La situation dérape lentement quand elle réalise que la beauté est une sangsue insatiable.
Absolument dégueulasse et presque insoutenable, le film est parfaitement maîtrisé de bout en bout pour donner la nausée sans jamais esthétiser la violence : seule la dernière séquence se permet de déborder et de vriller en délire collectif sanglant. Cette habileté à faire de l'horreur horrible et pas de l'horreur jouissive permet de porter un discours cohérent sur l'injonction féminine à la beauté, et les ravages que celle-ci fait aux femmes dans leur chair. Les scènes de mutation (qui tirent vers la mutilation) développent ainsi toujours une forme d'empathie avec les deux personnages sans tomber dans le voyeurisme, ce qui aurait été assez aisé puisqu'elles y sont souvent nues.
Côté actrices, Margaret Qualley se bouge les fesses pour assurer le show, et on se demande une grande partie du film si ce sera là sa seule tâche, jusqu'à ce qu'elle ait enfin le droit d'ouvrir la bouche et de briller. Demi Moore accepte de s'enlaidir au max, ce qui est souvent une recette gagnante pour gagner un oscar : bien joué, même s'il en l'occurrence je trouve que sa performance doit beaucoup au département maquillage et prothèses.
Reste que le film met un peu de temps à se mettre en place, avec un côté répétitif assez lourd sur la première heure, ce qui l'oblige à courir sur la fin : les deux héroïnes se construisent de manière un peu trop parallèle, toujours sur le mode de l'alternance, ce qui empêche un peu de les percevoir comme les deux faces d'une même pièce. A partir du moment où l'opposition se creuse et où la rupture est consommée dans un corps à corps phénoménal, ça dérange moins, mais j'aurais eu besoin de voir une certaine continuité entre les deux femmes avant ça (dans les gestes, les intonations, les mimiques...). On a du mal à voir en Sue autre chose qu'une jeune fille naïve propulsée du jour au lendemain sur le devant de la scène, alors qu'en toute logique, elle devrait avoir un autre regard sur les situations présentées, puisque c'est la deuxième fois qu'elle les vit. Ce problème se traduit beaucoup par la présentation qui est faite de son corps : dans sa toute première scène, Sue l'inspecte, le découvre et l'apprivoise, ravie, face à un miroir, ce qui est filmé avec beaucoup de sensibilité, dans son référentiel à elle, sans s'attarder démesurément sur ses fesses ou ses seins. Par la suite, le corps de Sue ne nous sera jamais plus présenté à travers ses yeux à elle, mais ceux du producteur, du cameraman, de son amant. On peut le comprendre, ça fait sens avec le récit, mais cette distance nous empêche de percevoir autre chose d'elle qu'une ambition et une arrogance de parvenue. Au contraire, le corps de Lizzie sera toujours perçu à travers ses yeux à elle ; elle se fait la seule témoin, horrifiée et impuissante, de sa progressive dégradation, depuis une cicatrice grossière dans le dos à la nécrose de tous ses membres.
Le corps de la jeune femme reste figée dans sa perfection de magazine ; même dans un film de genre, il constitue une relique sacrée qu'il ne faut pas profaner. Au contraire, le corps d'une cinquantenaire est considéré dès le départ comme un produit périmé, que l'on peut étirer, charcuter, bousiller à l'écran. Sur ce pan là, et c'est peut-être le seul (parce que comme dit précédemment c'est vraiment DEGUEULASSE je pense que des gens de ma salle ont vomi à la sortie), le film ne brise pas la convention, et conserve malgré son propos une sorte de fascination pour la jeunesse et la beauté de son actrice principale, auxquelles il ne s'attaquera pas. De là, le portrait de Sue Gray n'est jamais brossé.
L'autre problème de poids c'est que le film ne fait pas assez confiance aux spectateurs pour les laisser repérer les indices qu'il sème tout du long : plutôt, il recourt à des flash back poussifs qui permettent de BIEN comprendre que ce qui était métaphore au début est devenu réalité, que la phrase que vous aviez entendue tout à l'heure prend tout son sens maintenant, et que regardez!! elle sourit et en fait c'est hyper deep parce que tout à l'heure le monsieur a dit pretty girls should always smile et là elle est plus pretty mais elle le fait quand même!! C'est dommage de trop prendre le spectateur par la main, ça fait perdre beaucoup en subtilité et en suggestion, et ça enferme un peu le film dans un discours univoque. Les dialogues sont eux aussi souvent très explicites et un peu convenus.
Enfin, je m'interroge un peu sur le choix d'avoir fait de tous les hommes du film des gimmicks caricaturaux, servant toujours à un but comique. On a le voisin lourdingue complètement con qui pense avec son zgeg, le producteur véreux, les actionnaires séniles (un bingo old-white-cis), l'amoureux du collège trop gentil donc malmené... Du coup, il semble que les injonctions à la beauté ne viennent que des hautes instances, d'un Hollywood de carton, d'hommes puissants mais finalement assez risibles et peu dangereux (Sue ne se fait harceler par personne quand elle est à moitié à poil, seule dans le bureau de son patron par exemple). C'est exactement la même caractérisation des hommes que dans Barbie par exemple, et à peu près le même message d'ailleurs, en un chouia plus trash. Les dynamiques de domination, de manipulation, de violence systémique sont transformées en comportements ouvertement grossiers et misogynes, comme ça on les repère bien (même problème que l'usage des flash backs) et on ne se mouille pas dans un discours qui serait plus radical mais de là plus polémique.
Partant de là, c'est dommage qu'il n'y ait pas une seule discussion sue/lizzie, puisque ce sont les deux seuls personnages avec un peu de profondeur
Surtout, en choisissant de nous faire suivre une star hollywoodienne, la réalisatrice présente un pan très précis de cette quête de la perfection, qui ne fait pas vraiment écho à l'expérience pourtant universelle de la peur de la vieillesse chez les femmes, et qui apparaît comme très superficiel. Quitte à montrer une star, autant souligner que même au sommet, la peur de flancher se maintient, que se tenir dans le droit chemin de la perfection demande sacrifices et autocontrôle permanent. Or, au plus haut comme au plus bas, Lizzie ne déchante jamais de ce monde de paillettes illusoires dont elle a complètement intégré les codes, et n'en questionne pas les travers et les perversions.
C'est quand le film sort de son esthétique clip de pop vintage saturé de couleurs criardes et accepte de prendre une tournure série B qu'il est le plus marquant, et que son propos fonctionne le mieux : quand il en revient à des perruques et des prothèses, à un imaginaire plus porté sur Carrie/ Freaks/ Elephant Man que Black Mirror, quand la sorcière de Hansel et Gretel cuisine un aligot ou quand un monstre paré d'une grande robe bleue fait de premiers pas timides face à un public médusé.
je déconseille si vous avez peur de tout ce qui est perte de dents, d'ongles, aiguille, piqûre, sang, nécrose, automutilation, ponction lombaire etc
Créée
le 7 nov. 2024
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