Elle en pire
Elisabeth Sparkle (Demi Moore) ne fait plus rêver. Son corps se fissure un peu plus chaque jour sur Hollywood Boulevard. Une étoile sur le Walk of Fame qui ressemble désormais aux scènes fanées d'un...
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le 10 oct. 2024
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LES LIGNES QUI SUIVENT SONT EXCLUSIVEMENT RÉSERVÉES À CEUX QUI ONT VU LE FILM OU N'ONT AUCUNE ENVIE DE LE VOIR (j'espère que vous serez nombreux dans cette catégorie) CAR JE CRAINS DE SPOILER ÉHONTÉMENT (le mal absolu).
Elizabeth Sparkle, ex actrice hollywoodienne oscarisée a jadis inauguré son étoile sur le Walk of fame.
Elle s'est reconvertie en reine de l'aérobic et son show télévisé hebdomadaire est un succès depuis des années. Le jour de ses cinquante ans le producteur de l'émission la convoque pour lui annoncer qu'à cinquante ans, c'est fini. Remerciée sans ménagement, Elizabeth déprime dans son appartement XXL jusqu'à ce que lui soit remis un document qui promet qu'essayer La substance lui permettra de devenir la meilleure version d'elle-même (plus jeune, plus belle, parfaite) dont elle a rêvé. Après hésitation Elizabeth appelle et se rend à l'endroit où le kit de rajeunissement lui sera livré chaque semaine. Un clic and collect plus tard, elle découvre les conditions à respecter impérativement pour que le processus fonctionne : ne pas se mouiller, ne pas s'exposer à la lumière, ne pas se nourrir après minuit...
Oops, excusez-moi je me suis emmêlé les pinceaux dans les instructions. Je reprends : il faut impérativement rentrer avant le douzième coup de minuit sinon le charme sera rompu...
Ach, décidément je suis distraite...
J'y suis.
Les instructions livrées avec la substance sont :
VOUS ACTIVEZ une seule fois,
VOUS STABILISEZ chaque jour,
VOUS PERMUTEZ tous les sept jours sans exception.
Vous vous doutez bien que c'est la dernière directive qui va poser problème et il ne faudra pas attendre longtemps. Une seule permutation suffit à Elizabeth dans la peau idéale de Sue, pour ne plus souhaiter revenir à son état délabré et repoussant de femme de cinquante ans. Elle bidouille le processus. Cela fonctionne un temps.
Mais je vais trop vite, j'ai oublié de vous dire qu'après injection de la substance vert pisseux et fluo à la fois (une prouesse), Elizabeth accouche par le dos (il se déchire littéralement en deux) d'une créature parfaite qui est ensuite chargée de recoudre (à très très gros points) la plaie béante et sanguinolente, puis de se perfuser quotidiennement les poches de produit miracle. Gros plans insistants et répétitifs sur les aiguilles qui pénètrent la peau au cas où nous n'aurions pas compris le caractère toxico et addictif du bousin.
Nous nous retrouvons donc face à deux idiotes pour le prix d'une. On se demande laquelle est la plus narcissique, la plus stupide ? Déjà avoir une photo de soi qui couvre tout un pan de mur de son appartement démontre l'ego de la dame (si vous n'avez pas la réf. je vous file un coup de main : Dorian Gray, ça vous parle ?). Sans famille ni amis ni la moindre relation, j'ai d'abord cru qu'Elizabeth regrettait d'avoir perdu son emploi, sa raison de vivre. Il n'en est rien. N'ayant pas le commencement du début d'un centre d'intérêt autre que pour sa petite personne, elle ne fait que contempler les "dégâts" (relatifs, on est face à Demi Moore quand même) et se mettre à jalouser la perfection des traits, des formes et de la peau de celle qui n'est même pas son double, mais un autre elle-même. Incapables de cohabiter elles vont finalement s'écharper, s'entredévorer ne chercher qu'à se venger l'une de l'autre au lieu de s'unir. C'est d'une bêtise à pleurer ! Car parmi toutes les aberrations de scenario et alors que le principe de base (l'alternance) est qu'elles ne soient jamais en présence l'une de l'autre, elles le seront.
Peu importe, on est pas à une anomalie près. J'ai trouvé ce film d'une bêtise à pleurer. La réalisatrice a d'abord cru qu'il resterait oublié sur une étagère (pensez donc, la subversion du machin, on n'est pas prêts) jusqu'à ce que ce foufou de Thierry Frémaux toujours partant pour une expérience et disposé à secouer la Croisette, s'entiche de la bestiole et lui donne une visibilité mondiale grâce au Festival de Cannes.
Ce qui me désole le plus est que la réalisatrice, elle-même comme son actrice principale très préoccupée de son physique et accro à la chirurgie esthétique (je l'ai entendue en interview, je n'invente rien) s'est beaucoup répandue avant la sortie sur le caractère hautement féministe de son film. Je suis toujours consternée de lire ou d'entendre ce genre de propos et qu'une fois encore on se serve du féminisme pour nous exhorter à apprécier le film comme un brûlot ou un manifeste ou la condamnation d'un fléau. Je suis sans doute trop premier degré et peut-être n'ai-je rien compris au message. Selon moi le film ne fait qu'exposer des faits : Elizabeth a été jeune et belle, elle veut le redevenir à n'importe quel prix mais malgré la progression dans l'horreur, jamais elle ne s'interroge. Evidemment c'est avant tout le regard des autres (le fameux regard des autres) et notamment celui des hommes qui rend ces filles dingues au point de mettre leur santé, leur équilibre mental et leur vie en danger. Il faut dire qu'ils sont gratinés ces hommes et Denis Quaid s'amuse beaucoup à jouer la caricature d'un sale type de producteur. Mais on peut regretter que de toute façon, en dehors de son physique Elizabeth n'est rien. Comme le film, elle est vide et creuse. Sa détestation d'elle-même ne provoque jamais ni l'empathie ni la compassion. On ne trouve pas une once d'humanité chez ces personnages. Et je suis vraiment consternée de découvrir deux femmes aussi bécasses qui d'ailleurs n'ont pas trois lignes de dialogues pour défendre le début du commencement d'un point de vue. C'est désolant de parler de féminisme alors que le film n'amorce pas le début d'une réflexion. On sort du film heureux de sortir de la salle et sans la moindre interrogation en tête.
Etant une femme (vieillissante certes, et pas ravie par cette perspective mais qui fait au mieux pour rester présentable (pour elle et pour les autres)) je ne me sens absolument pas représentée, défendue ou quoique ce soit d'autre par ce film et ces femmes. Et finalement la réalisatrice les punit. Mais les punir de la façon la plus horrifique qui soit, les faire disparaître, nous projeter à la face sa colère et des milliers de litres de sang, est-ce suffisant pour protéger les filles et leur expliquer comment agir contre la dictature de la beauté ?
Quant à la réalisation, elle est ostentatoire, clinquante mais moche. J'ai trouvé tous les effets plutôt laids : vues plongeantes, déformation des perspectives. Kubrick et De Palma se réjouiraient-ils des hommages appuyés et répétitifs à leurs films (2001..., Carrie, Shining) ?
Je terminerai par quelques approximations de scenario :
- une femme fait le ménage chez Elizabeth. On imagine sans peine que la star ne peut se livrer à cette tache dégradante. Dès "l'accouchement", on se demande qui peut bien nettoyer toutes les cochonneries (sang, fluide) qui traînent au sol. La femme de ménage disparaît et l'appartement reste impeccable.
- A aucun moment, il n'est question de paiement dans la transaction. La substance est-elle gratuite ?
- Dès que Sue est embauchée pour remplacer Elizabeth, elle précise qu'elle ne pourra être là qu'une semaine sur deux. Le producteur évidemment dit qu'il n'en est pas question. La première semaine où elle s'absente, personne ne s'en offusque ni ne lui demande le moindre compte. La réalisatrice impose des règles et ne les respecte pas.
La seule idée que je sauverai est cette étoile du Walk of fame qui se flétrit au fil du temps, à mesure qu'Elizabeth se transforme en monstre. Mais encore là, j'ai plutôt envie de relire Oscar Wilde (d'ailleurs tiens, oui, ça c'est une bonne idée).
Last but not least comme dit l'autre, ce qui semble fasciner le plus la réalisatrice dans cette dégradation et cette perfection du corps, ce sont les fesses qu'elle filme avec une complaisance insistante et à de multiples reprises (permettant de constater que même avec le corps de Demi Moore, la fesse devient molle et flasque) qu'on ne pardonnerait pas à un réalisateur. Les seins ne l'intéressent qu'à deux reprises : une réplique masculine "si elle avait les seins au milieu du visage, ça irait", et lors de l'accouchement d'un sein (compliqué de vous expliquer cette horreur) et les rides encore moins.
Mais le plus étrange finalement est que la réalisatrice semble considérer celles qui cèdent et abusent de la chirurgie esthétique comme de parfaites abruties, et ça c'est vraiment triste.
Je n'ai sans doute pas suffisamment de références en matière de films d'horreur pour juger celui-ci mais avec le peu que j'en connaisse (Carrie, Rosemary's baby, Les dents de la mer, La mouche... peuvent être considérés comme des chefs-d'oeuvre) je considère celui-ci comme un tout petit film d'horreur (bien gore) assez dégueulasse qui affiche beaucoup de prétention et aucun propos. L'écriture du scenario est d'une faiblesse redoutable que le prix obtenu à Cannes dans cette catégorie est une énigme.
Je ne suis pas complètement d'accord avec l'avis du Point (je n'ai pas été électrisée mais accablée par cette humanité désolante) mais il m'a amusée :
"Fargeat sature à mort la bande-son et, si vous êtes prêts et consentants à trente minutes ultimes dans le tambour de la machine à laver, le dernier virage vous électrisera autant qu'un tour de grand huit sous amphétamines. Dans le cas où, au contraire, vous seriez plutôt d'humeur Downton Abbey, un seul conseil : fuyez, pauvres fous !"
Créée
le 10 nov. 2024
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