Niquer sa mère, c’est se niquer soi-même

J’avoue que celui-ci, je l’avais pas vu venir. Je n’avais pas vu venir Coralie Fargeat non plus. Et encore moins Demi Moore. C’est comme une gifle, tu ne la vois jamais vraiment venir. A fortiori quand elle est bien emballée. Et du craquant au cradingue, il n’y a qu’une syllabe.


Elisabeth est une ex-star du cinéma et une actuelle star d’un show matinal d’aérobic genre Gym Tonic. Le jour de ses 50 ans, la chaîne estime qu’elle a passé l’âge de se trémousser en body et part en quête d’une remplaçante, jeune, belle, pimpante. C’est alors qu’Elisabeth entend parler d’un produit qui la dédoublera, lui proposant de vivre à mi-temps dans la peau d’une meilleure version d’elle-même, plus jeune, plus belle, plus pimpante. La parfaite candidate au casting de la chaîne donc. Mais en ce bas monde comme dans les hautes sphères, tout a un prix.


L’intro est pour le moins énigmatique, à la fois explicite et pleine de questions. Tout comme le message que reçoit Elisabeth. Extrêmement esthétique, le film propose des plans millimétrés, une photo parfaite, un montage en syncope, une musique spacieuse. Extrêmement symbolique, le film joue sur un jaune citron dont on dit qu’il est symbole de mort pour les uns, de transcendance pour les autres. Et quand le double apparaît, c’est un véritable accouchement … par césarienne dorsale, pourrait-on dire. Et on arrive sur un autre point saillant du film, son rapport au corps, à la transformation aux fluides. Carné plus que charnel, le film nous montre des mutations assez perturbantes et plutôt dégueux. Mais ce qui marque, c’est la confrontation entre le double et l’original. Cette lutte de pouvoir entre la jeunesse ambitieuse et inconséquente et la « vieillesse » nostalgique et sans espoir pourra être lue à l’aune d’un combat social entre le monde nouveau et le monde ancien, chacun souhaitant ne pas avoir besoin de l’autre et ne pas le voir. Cette schizophrénie sociale qui empêche de voir le monde par un point de vue commun fruit d’un compromis mène à la perte de l’un et de l’autre. Mais le sujet central, le plus évident, est sûrement le sort qu’on réserve à la femme dont la date de péremption approche. Le regard sur le spectacle et ses victimes est sans ambiguïté, sans fard, sanglant. Le public, complice, est littéralement aspergé de la souffrance de ces femmes que l’on consomme et qu’on jette et il participe à leur mise à mort.

On le voit, le film est très riche et également généreux. Ces quelques lignes ne suffiront pas à commenter tous les points qu’il met en avant. C’est un véritable tour de force que de proposer dans un récit cohérent autant de richesse sémantique. À l’écran, plein de belles choses également comme dit plus haut. On pourra citer en sus la prestation parfaite de Demi Moore, Margaret Qualley et l’insupportable Dennis Quaid. On appréciera les choix musicaux. On kiffera la beauté formelle de l’objet et son rythme maîtrisé. On notera tous les clins d’œils, très nombreux (trop ?), aux maîtres et influences (Kubrick, Cronenberg, Lynch, de Palma, Aronofsky, Noé, Refn et probablement d’autres). Mais on constatera aussi quelques faiblesses et invraisemblances dans le récit. Plutôt grossières et donc incompréhensibles, ces bourdes gâchent un peu l’ensemble. On regrettera aussi un dernier chapitre grand-guignolesque, certes très drôle et jubilatoire, mais nuisible à l’ensemble. On aurait pu s’en passer et gagner un bon quart d’heure.


Et donc ? Donc on se félicite d’une production française qui a les tripes de faire ce que les Ricains ne font plus et de le faire bien. On se félicite également d’un cinéma féminin qui dit, dit bien, dit fort sans jamais chercher à faire un cinéma masculin. On se félicite encore d’un projet qui n’a pas peur d’aller au bout du chaos. Attention toutefois, à force d’emprunter, on finit par copier et par affaiblir les trouvailles de ses prédécesseurs. Malgré ses défauts gênants, The substance est une expérience qu’il faut vivre et qui se mérite. Et dernière chose, le film peut être pénible pour qui n’aime pas les piquouses.


>>> La scène qu’on retiendra ? Ce n’est pas la meilleure scène mais cette relecture de la scène finale de Carrie pose là son lot de chaos.

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le 11 nov. 2024

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