Alors que Joe Dante, Frank Marshall ou même Chris Columbus ont fini par se perdre dans les limbes d’Hollywood (quand ils ne sont pas encore là pour nous offrir des immondices à l’image du récent Pixels), la carrière de Zemeckis, l’enfant prodige de la famille Spielberg, reste toujours aussi passionnante à suivre. Non seulement parce que sa filmographie regorge de certaines des plus grandes merveilles de l’académisme du Nouvel Hollywood, mais aussi par l’étude de ses obsessions – qu’il s’agisse de marginaux magnifiques à la Forrest Gump, ou de ses expérimentations techniques, illustrées par ses trois essais remarqués à la motion capture dans les années 2000 par l’intermédiaire de sa société ImageMovers.
Faute d’avoir rencontré le succès dans ce domaine, c’était déjà un retour à un cinéma traditionnel que Zemeckis opérait avec Flight il y a deux ans. Il ne faut pourtant pas voir cette marche arrière comme un abandon de ses ambitions créatives, The Walk en est la preuve ultime. C’est quelque chose qui est de plus en plus rare, et c’est ce qui fait toute sa singularité, mais il y a dans l’utilisation des CGI faite par Zemeckis une sensibilité numérique unique, comme si cette imagerie par ordinateur était érigée au rang d’un Art visuel vertigineux, écrasant, et aussi étrange que cela puisse paraître, mélancolique. C’est une piste difficile à percevoir pendant la très longue introduction du film – une origin story pas inintéressante mais qui manque d’exubérance – mais elle prend tout son sens dans sa deuxième partie : à partir de l’arrivée de ses personnages à New York, The Walk prend son envol.
Le film de Zemeckis n’est pas seulement une expérience à couper le souffle, il est aussi un tour de force pictural incroyablement maîtrisé. Le cinéaste sait ménager ses effets, il sait composer la couleur de ses cadres, iconiser son décor et ses acteurs. L’image fantomatique, quasi irréelle, des tours jumelles ne fait qu’ajouter à la profonde mythologie du long-métrage. C’est une poésie de l’émerveillement que Zemeckis s’est développé, une voix qui apparaît plus particulière que jamais dans un contexte où la débauche a substitué la sophistication – il est aujourd’hui difficile de convaincre un spectateur américain de se déplacer en salles si la bande-annonce du film qu’il va voir ne compte pas un minimum de trois money shots : un français qui fait le clown sur un câble ? Ce n’est guère surprenant que ce soit un four au box-office.
On ne peut que regretter la disparition progressive de ces grosses productions qui savent rêver et faire rêver – The Walk n’est pourtant pas le meilleur des Zemeckis, l’écriture paresseuse du destin de son protagoniste n’est qu’un indice parmi tant d’autres que le scénario était clairement perfectible ; mais il y a, bien au-dessus de ces quelques défauts regrettables, l’image forte d’une mise en abyme saisissante. Zemeckis qui, tel un funambule, réalise devant une audience réduite son tour de magie en solitaire. Il est passionné et sa performance est féerique, mais surtout, il ne ment pas au spectateur ; car comme on ne peut mentir sur scène, on ne peut mentir au cinéma. Le talent, ça ne s’invente pas.